SOCIÉTÉ
Pandore et Eve : Deux symboles de la discrimination féminine
Présentation
Dans ce nouveau texte, je ne vais aborder ni l’histoire ni la philosophie bien que cette dernière soit toujours en filigrane de mon propos. Et cela, d’autant que je vais être amené à citer quelques philosophes qui se sont distingués par une indéniable misogynie traduite par leur profond mépris des femmes. Les deux mythes évoqués, celui de Pandore et celui d’Eve peuvent être considérés comme des symboles de la discrimination féminine qui pénalise depuis quasiment toujours le genre féminin. Pourquoi donc les deux mythologies qui les sous-tendent, les mythologies grecque et biblique, partagent-elles ce point commun ? Pourquoi la moitié de l’humanité a-t-elle été, à ce point, décriée et traînée aux gémonies ? Quels sont donc les crimes dont les femmes seraient responsables pour mériter un tel destin ? Et à quel titre, nous les hommes, pouvons-nous revendiquer une dignité, et une excellence, qui leur seraient interdites ? Voici, à mes yeux, des questions essentielles qui devraient se poser à toute personne préoccupée par la justice et l’égalité entre les hommes et les femmes. Il devrait tomber sous le sens que les femmes sont des êtres humains au même titre que les hommes. Aussi, leur soumission aux hommes, qui semble naturelle à certains penseurs pour le moins mal inspirés, est une injure à la dignité humaine. Voici, chère lectrice, cher lecteur, les raisons qui m’ont conduit à écrire ce texte. Texte qui tente, non pas d’expliquer clairement les causes de cette discrimination, ce que nul, du moins jusqu’ici, n’est parvenu à faire, mais d’attirer l’attention sur ce que je considère être une aberration humaine. Toutefois, notons que beaucoup de progrès ont été réalisés notamment dans les sociétés occidentales. Ce qui est loin d’être le cas dans des pays, l’Iran ou l’Afghanistan, par exemple, dans lesquels les femmes ont un seul tort : celui d’exister. Ceci étant, et comme l’atteste la quasi-suppression récente du droit à l’avortement aux Etats Unis, le moment, même en occident, n’est pas encore venu de baisser la garde face aux possibles remises en cause de la liberté et de la dignité féminine...
Quelques réflexions sur la condition féminine.
1 - Au fil des siècles, les femmes se sont battues, et se battent toujours d’ailleurs, pour être les égales de l’homme. Notamment depuis que le philosophe grec Aristote (384-322 av. J-C.) les qualifia « d’inférieures » il y a 2400 ans ! « La relation entre l’homme et la femme, déclara-t-il, est par nature telle que l’homme est supérieur, la femme inférieure, que l’homme gouverne et que la femme est gouvernée. » Le procès ainsi intenté à la femme ne lui ayant sans doute pas paru suffisant, Aristote ne put s’empêcher de revenir sur le sujet : « La femme est une ébauche d’homme dont le développement n’atteindra jamais la perfection masculine. Toute implication des femmes dans la politique est contraire à la nature. » Cette « théorie » de la distinction des sexes fera flores durant 2400 ans et, bien évidemment, a influencé les pères de l’Eglise (pères qui n’ont jamais brillé pour leur progressisme...) ainsi que toute la pensée occidentale !
2 - Dans ce nouvel article, je me propose d’évoquer deux femmes nées, l’une, Pandore ou, plutôt : Pandora, sous la plume du poète grec Hésiode (VIIIème-VIIème siècles av. J.C.) et l’autre, Eve, mise en scène dans la Genèse (VIème siècle, selon de nombreuses sources) Pourquoi ce choix ? Tout simplement en raison de la parenté que l’on peut relever entre ces deux mythes nocifs qui ont assimilé la femme (« La seconde faute de Dieu »), déclara Nietzsche) aux plus dévastateurs fléaux ayant frappé l’humanité. De fait, ces deux mythes ont considéré la femme comme la seule responsable de la transition de « l’âge d’or » pour le premier, ou des délices du « paradis terrestre », pour le second, vers les dures réalités de la « Cité Terrestre » de saint Augustin. Finalement, pourrait-on penser, avant l’apparition de la femme dans la communauté « idyllique » des hommes, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais, la femme est apparue... Ceci étant, et d’un certain point de vue, il serait possible de considérer que ces deux mythes ne relèvent que de l’anecdotique (Après tout, « le genre humain est avide de fables captivantes » écrivit Lucrèce.) Toutefois, il suffit de consulter quelques citations, dont certaines émanent pourtant de grands esprits, pour s’apercevoir, et déplorer, que les préjugés qui accompagnent la gent féminine ont la peau dure. « Il y a un principe bon qui crée l’ordre, la lumière et l’homme. Il y a un principe mauvais qui crée le chaos, les ténèbres et la femme », déclara Pythagore. (582-500 av. J.C.) Evidemment, et bien que Pythagore accueillit des femmes dans son école, (comme Epicure, d’ailleurs), il ne fut pas le seul à se distinguer en raison d’une misogynie des plus tenace. Voici quelques exemples dont certains sont des plus éclairants :
« Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler, mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire, qu’elles interrogent leurs maris à la maison. » (La bible, Corintiens 14.)
« La femme est quelque chose de défectueux et de manqué. » (St Thomas d’Aquin. XIIIème siècle.)
« Le peuple de Dieu n’admettrait pas à la succession le sexe qui est né pour obéir. » (Bossuet, écrivain. XVIIème siècle.)
« Tout ce qui est abstrait est incompréhensible aux femmes. » (Malebranche, philosophe. 1638-1715.)
« Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femme. » (Nicolas Beauzée, grammairien. 1767)
« La différence qu’il y a entre l’homme et la femme est celle qu’il y a entre l’animal et la plante. » (Hegel, philosophe. 1770-1831.)
« La nature, ayant créé la femme imparfaite, faible et débile, tant de corps que d’esprit, l’a soumise sous la puissance de l’homme. » (Cardin Le Bret, homme politique. XVII-XVIIIème siècles.)
« La femme est faite pour céder à l’homme et pour supporter même son injustice. » (J.J. Rousseau –1-. XVIIIème siècle.)
« Ce n’est pas à une femme mais aux femmes que je refuse les talents des hommes. » (J.J. Rousseau –2-.)
« La recherche des vérités abstraites et spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout ce qui rend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes. » (J.J. Rousseau)
« Les personnes privées de droits civiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux. » (Code Napoléon, 1804 –Art 213.)
« Il ne devrait y avoir au monde que des femmes d’intérieur, appliquées au ménage, et des jeunes filles aspirant à le devenir, et que l’on formerait non à l’arrogance mais au travail et à la soumission. » (Arthur Schopenhauer. 1788-1860.)
« J’ai souvent envie de demander aux femmes par quoi elles remplacent l’intelligence. » (Alain, philosophe. 1868-1951.)
« C’est toujours l’inlassable médiocrité de la femme qui l’emporte. » (Roger Martin du Gard. 1881-1958.)
3 - Les choses ne peuvent être plus claires : la femme est imparfaite, débile, médiocre, étrangère aux pensées les plus élevées. Bref ! La moitié de l’humanité n’est là que pour être soumise à l’homme et, corrélativement, pour accéder à tous ses désirs ! Ceci étant, une question se pose pour qui réfléchit sur le sens que l’on donne au terme : « humanité » : La femme est-elle véritablement un être humain au même titre que l’homme ou n’est-elle que son artefact ? Si l’on se réfère à l’une des citations du philosophe Hegel, précédemment évoquée : « La différence qu’il y a entre l’homme et la femme est celle qu’il y a entre l’animal et la plante. » On ne peut qu’être dubitatif et consterné ! Au sortir de cette courte citation, je ne puis m’empêcher de penser que si la philosophie à ses limites, le rédacteur de la « phénoménologie de l’Esprit » n’a pas hésité à franchir allègrement l’une d’entre-elles ! Toujours dans le même ordre d’idées, que peut-on penser de la citation de J.J. Rousseau selon laquelle : « La femme est faite pour céder à l’homme et pour supporter même son injustice. » Citation, notons-le, qui émane d’un philosophe qui s’est pourtant longuement penché sur la justice et le droit qui l’a sous-tend. Mais, peut-être que dans son esprit, le droit ne concernait que la moitié de l’humanité !
4 - D’évidence, la différence des sexes est une réalité biologique. Même une féministe particulièrement aguerrie ne pourrait le nier ! Mais que l’on retrouve cette différence au niveau des places respectives assignées aux femmes et aux hommes dans la société relève d’une construction sociale, née, d’ailleurs, de coutumes ancestrales, et non d’un ordre naturel. La question qui se pose est donc celle-ci : comment expliquer que les inégalités entre les femmes et les hommes se soient installées quasiment depuis la nuit des temps et perdurent encore aujourd’hui ? Comment expliquer que la moitié des êtres humains soit toujours discriminée en dépit, par ailleurs, des immenses progrès réalisés en matière de condition humaine ? Et, de plus, malgré les indéniables avancées qui émanent notamment des sociétés occidentales, lesquelles, semble-t-il, sont plus évoluées que certaines autres... De fait, les inégalités entre les femmes et les hommes se sont construites historiquement à partir de l’idée selon laquelle les femmes seraient pénalisées par une infériorité naturelle notamment au sens biologique. Finalement, les hommes dominent les femmes au nom de la loi du plus fort ! Or, la force n’est pas le droit nous a dit Hegel. Certes ! Mais beaucoup de femmes sont censées se poser la question ! Justement, en matière de droit, les Françaises durent attendre la fin de la deuxième guerre mondiale (1945) pour obtenir (enfin !) le droit de vote. (Parangon de la démocratie directe, la Suisse a réussi à faire mieux en cette matière ! En effet, les femmes de ce pays durent attendre l’année 1971 pour, qu’au niveau fédéral, le suffrage féminin soit juridiquement introduit.) Toujours en France, ce n’est qu’en 1965 que les Françaises bénéficièrent du droit de détenir un compte bancaire sans l’aval de leur mari ! Force est de constater que les principes humanistes d’égalité en droit de tous les êtres humains, femmes et hommes, sont longtemps restés lettre morte. Et, de plus, que l’égalité de droit n’est pas forcément l’égalité effective. L’égalité, « principe de justice commutative », disait Aristote, intègre les différences au lieu de les gommer ou de les uniformiser. Donc, revendiquer l’égalité entre les femmes et les hommes ne revient pas à nier leur propre spécificité. Bien au contraire, cette égalité repose sur la prise en compte de leur ipséité respective qui est à la source de leur complémentarité. Complémentarité, d’ailleurs, sans laquelle la question de l’existence des êtres humains ne se poserait même pas...
5 - Si beaucoup de femmes se sont rebellées contre leur asservissement, quelques hommes ont contribué à ce combat. Evoquons, par exemple, le philosophe anglais John Stuart Mill (1806-1873) qui fit paraître en 1869 « De l’assujettissement des femmes », ouvrage dans lequel il prôna le droit de vote des femmes. Droit que les femmes anglaises n’obtiendront qu’en 1918. Droit de vote, d’ailleurs, très limité puisqu’il ne concerna que les femmes anglaises ayant atteint l’âge de 30 ans.. ! Dix années supplémentaires seront nécessaires avant que la législation anglaise établisse enfin un droit de vote identique pour les hommes et les femmes. Dans ce même ordre d’idées, je ne saurais oublier le journaliste libre-penseur, Léon Richer (1824-1911) qui fut considéré par Simone de Beauvoir elle-même comme l’un des « précurseur » du féminisme français. En étroite collaboration avec la Franc-maçonne, féministe et femme de lettres Maria Deraisme (1828-1894), Léon Richer créa « l’Association pour le droit des femmes. » Soutenue par Victor Hugo qui déclara au sujet des femmes : « Elle ne vote pas, elle ne compte pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent, il faut qu’il cesse », cette association se distingua par son combat pour l’acquisition des droits civils et politiques pour les femmes. Ceci étant, il convient de nuancer l’engagement de Léon Richer ; engagement que l’on peut effectivement qualifier de « féministe. » C’est en effet en raison d’un profond désaccord avec lui ; désaccord qui concerna le droit de vote des femmes auquel il était opposé, que Maria Deraisme quitta, en 1882, l’association pour en fonder une nouvelle : la « Ligue française pour le droit des femmes » dont Victor Hugo fut le président d’honneur. On peut quand même s’interroger sur cette lourde ambiguïté qui ternit l’image humaniste de Léon Richer...
6 - Je ne peux clore cette réflexion sur la condition féminine sans évoquer la femme de lettres, devenue femme politique, Marie Gouze, dite « Olympe de Gouges » (1748-1793.) Considérée comme l’une des pionnières du féminisme français, Marie Gouze rédigea un texte très important malheureusement trop méconnu : la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », texte paru en 1791. Adressée à la reine Marie-Antoinette, cette déclaration fut le premier document à revendiquer l’égalité juridique et légale des femmes par rapport aux hommes. Originellement destinée à être présenté à l’Assemblée législative, elle resta à l’état de projet en raison d’un manque d’écho favorable chez les députés. Fervente défenseu-se de la démocratie, Marie Gouze se distingua aussi par ses nombreux combats humanistes au cours de la révolution française, comme, par exemple, son combat abolitionniste en faveur des Noirs des colonies. Toutefois elle commit une fatale erreur politique en proposant par voie d’affiche une élection à trois choix : république une et indivisible, république fédéraliste et, surtout, retour à la monarchie constitutionnelle. Ce troisième choix lui valut son déferrement devant le tribunal révolutionnaire le 6 août 1793, son inculpation pour trahison et son exécution le 3 novembre 1793.
7 - La « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » de Marie Gouze eut pour principale vertu d’associer les femmes aux droits fondamentaux exposés dans la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. »
Note 1 : Notons que dans la langue française, et dans le contexte de la Déclaration de 1789, le terme « homme » associe les hommes et les femmes. Mais cette caractéristique linguistique n’efface pas une certaine ambiguïté que nous retrouvons, d’ailleurs, dans le premier article de cette Déclaration : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit (...) » Concernant cet article, la Déclaration des droits de l’homme rédigée par l’ONU en 1948 a levé cette regrettable ambiguïté : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit.
Note 2 : En raison de l’étroite relation existant entre la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » et la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » de Marie Gouze, je conseille vivement à la lectrice et au lecteur de consulter le texte de la première inséré dans mon article (section 17) : « La construction européenne. Quelques bases philosophiques et politiques. »
De la sorte, Marie Gouze a exigé que les femmes bénéficient de droits identiques à ceux impartis injustement aux seuls hommes. Il fallait donc que la femme soit une citoyenne au même titre que l’homme était un citoyen ce qui impliquait, de facto, une stricte égalité de droits. C’est pourquoi, et en raison de l’importance historique de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » de Marie Gouze, je crois utile de l’insérer intégralement dans cet article :
Marie Gouze
Préambule :
Les mères, les filles, représentantes de la nation, demandent à être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaltérables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration constamment présente à tous les membres du corps social leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être, à chaque instant, comparés avec le but de toute institution politique en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes mœurs et au bonheur de tous. En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de la femme et de la citoyenne :
◆ Art. 1 - La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
◆ Art. 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme. Ces droits sont : la liberté, la prospérité, la sûreté surtout face à l’oppression.
◆ Art. 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme ; nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
◆ Art. 4 - La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui impose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.
◆ Art. 5 - Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société ; tout ce qui n’est pas défendu par ces lois sages et divines ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
◆ Art. 6 - La loi doit être l’expression de la volonté générale : toutes les citoyennes et citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ; elle doit être la même pour tous ; toutes les citoyennes et citoyens étant égaux à ses yeux doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
◆ Art. 7 - Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée et détenue dans les cas déterminés par la loi : les femmes obéissent comme les hommes à cette loi rigoureuse.
◆ Art. 8 - La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nulle ne peut être punie qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée aux femmes.
◆ Art. 9 - Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la loi.
◆ Art. 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi.
◆ Art. 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers leurs enfants. Toute citoyenne peut donc dire librement : je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans des cas déterminés par la loi.
◆ Art. 12 - La garantie des droits de la femme et de la citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est conférée.
◆ Art. 13 - Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses de l’administration, les contributions des femmes et des hommes sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles, elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.
◆ Art. 14 - Les citoyennes et citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique. Les citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique et de déterminer la quotité, le recouvrement et la durée de l’impôt.
◆ Art. 15 - La masse des femmes coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
◆ Art. 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. La constitution est nulle si la majorité des individus qui composent la Nation n’a pas coopéré à sa rédaction.
◆ Art. 17 - Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles sont pour chacun droit inviolable et sacré ; nul ne peut être privé comme vrai patrimoine de la nature, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
§§§
8 - Directement inspiré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le texte de Marie Gouze la reprend, article après article. Véritable pastiche de cette Déclaration, qui énumère des droits ne concernant que les hommes puisque les femmes ne disposaient pas du droit de vote, du libre accès aux institutions publiques, aux droits de propriété, etc. celle de Marie Gouze sonne comme un plaidoyer en faveur d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes. C’est ainsi qu’elle reprend le célèbre premier article de la Déclaration de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits pour y associer les femmes. La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. »
Pour Marie Gouze, il est évident que la nation est composée par les deux sexes comme en témoigne l’article 3 de sa Déclaration : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme. Toutefois, si Marie Gouze revendique l’instauration d’une véritable égalité entre la femme et l’homme, elle prend la précaution de préciser qu’il n’y a pas de droits spéciaux pour les femmes. De la sorte, et au même titre que les hommes, les femmes sont exposées aux même rigueurs de la loi comme l’atteste son septième article : « Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée et détenue dans les cas déterminés par la loi : les femmes obéissent comme les hommes à cette loi rigoureuse. » Donc, pas de privilèges issus de leur sexe pour les femmes mais seulement le respect de leurs libertés et de leurs droits naturels échus à leur naissance. D’où, d’ailleurs, le plus célèbre article de sa Déclaration (le dixième) : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi. »
9 - Premier texte à revendiquer l’égalité civile et politique des femmes par rapport aux hommes, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ne parut qu’en cinq exemplaires en septembre 1791. Et cela, en raison de nombreux sarcasmes et surtout de la totale indifférence des députés. Il fallut donc attendre 1840 pour que quelques extraits soient enfin publiés. L’intégralité du texte ne l’a été qu’en 1986 sur l’initiative de Benoîte Groult...
10 - Je ne saurais clore cette longue introduction sans évoquer l’anarchiste, la femme politique, journaliste et femme de lettres Louise Michel (1830-1905) qui se distingua notamment lors de la « Commune de Paris » survenue durant l’année 1871. Issue du rejet d’une capitulation de la France face aux menées de Bismark lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et du siège de Paris, ce mouvement insurrectionnel fut également le cadre d’une réflexion sur la condition féminine. Louise Michel y occupa une place prépondérante comme l’atteste les citations suivantes que l’on peut lire dans ses Mémoires :
• « La question des femmes, surtout à l’heure actuelle, est inséparable de la question de l’humanité. »
• « Les femmes, surtout, sont le bétail humain qu’on écrase et qu’on vend. » (Il s’agit, ici, d’une nouvelle allusion à la prostitution au sujet de laquelle Louise Michel déclara :« Il y a entre les propriétaires des maisons de prostitution échange de femmes, comme il y a échange de chevaux ou de bœufs entre agriculteurs ; ce sont des troupeaux, le bétail humain est celui qui rapporte le plus. »
• « Notre place dans l’humanité ne doit pas être mendiée, mais prise. »
• « Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine. »
• « (...) Jamais je n’ai compris qu’il y eût un sexe pour lequel on cherchât à atrophier l’intelligence. »
Nouveau témoignage du combat mené par les femmes pour obtenir (enfin et au même titre que les hommes) la pleine reconnaissance de leur statut d’êtres humains, ces citations de Louise Michel s’inscrivent dans la droite ligne de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » de Marie Gouze. Ceci étant, et malgré l’engagement de nombreuses femmes par la suite, ce combat perdure encore aujourd’hui...
Pandore et le mythe de Prométhée.
11 - Selon le poète grec Hésiode, les choses commencèrent lorsque Zeus (Jupiter pour les romains) décida de fabriquer des êtres mortels de toutes sortes. Et cela, afin de distraire les dieux de l’Olympe qui s’ennuyaient depuis la fin de la guerre contre les Titans. « J’ai décidé, déclara Zeus, de demander à mon cousin Prométhée, le fils du Titan Japet, qui lui aussi nous a rejoints dans la guerre, d’effectuer ce travail. D’autant, qu’à la différence de son frère Epiméthée, ce pauvre nigaud (en grec, Epiméthée signifie " celui qui comprend après coup " ou " qui réfléchit trop tard "), Prométhée est des plus avisé. Je suis donc certain qu’il va s’acquitter de cette tâche à merveille. »
12 - Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si Epiméthée n’avait pas harcelé son frère pour effectuer la deuxième partie de la tâche que Zeus avait attribué à Prométhée. Tâche qui consistait à doter les êtres vivants des moyens de se défendre et de se protéger afin de se prémunir contre leur disparition. Lassé par l’insistance d’Epiméthée, Prométhée finit par céder en lui confiant ce travail. « Après tout, sans doute pensa-t-il, il ne s’agit que de bêtes. Par conséquent, Epiméthée peut très bien s’en charger... »
13 - Aussitôt, Epiméthée commença à distribuer les dons divers, dont il disposait, aux différentes espèces animales : Il attribua aux uns, nous dit Platon (Protagoras, 320c), la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force ; il donna des armes à ceux-ci, les refusa à ceux-là, mais il imagina pour eux d’autres moyens de conservation ; car à ceux d’entre eux logés dans un corps de petite taille, il donna des ailes pour fuir ou un refuge souterrain (...) Mais quand il leur eu fourni les moyens d’échapper à une destruction mutuelle, il voulut les aider à supporter les saisons de Zeus ; il imagina pour cela de les revêtir de poils épais et de peaux serrées, suffisantes pour les garantir du froid (...) Il leur donna en outre comme chaussures, soit des sabots de corne, soit des peaux calleuses et dépourvues de sang (...) Bref ! « L’ensemble, nous dit Luc Ferry (La mythologie grecque), forme un univers parfaitement bien agencé, ce que les Grecs appellent un cosmos et que nous, aujourd’hui, nous appellerions un écosystème équilibré. »
14 - Seulement, quand Prométhée vint vérifier le travail de son frère, il fut atterré ! Car, si Epiméthée s’était correctement occupé des espèces animales, il avait complètement oublié les hommes ! C’est ainsi que Prométhée « voit les animaux bien pourvus, nous dit Platon (ibid.), mais l’homme nu, sans chaussures, ni couverture, ni armes, et le jour fixé approchait où il fallait l’amener du sein de la terre à la lumière. » Alors, que pouvait faire Prométhée pour réparer cette terrible erreur ? Sans la moindre hésitation, il se précipita chez Héphaïstos (Dieu du feu, de la forge, de la métallurgie et des volcans), afin de lui dérober le feu, et chez Athéna (Déesse de la sagesse, de la guerre et des artisans), afin de s’emparer des arts (à l’époque, ce terme désignait les techniques.) Ce larcin accompli, Prométhée en distribua les fruits aux hommes afin de leur fournir les moyens indispensables à leur survie. Seulement, nous dit Luc Ferry (ibid.), Prométhée vient, sans le vouloir, de doter les hommes d’un pouvoir nouveau, d’une liberté de choix et d’un génie créateur qui risque fort de les conduire à se prendre pour des dieux, à céder à l’hubris, à l’ivresse de la technique déchaînée. (On peut traduire le terme « hubris » par le culte de soi et une ambition sans limite.)
15 - Craignant, sans doute, que, disposant du feu et des arts, les hommes ne soient en mesure de détruire l’ordre cosmique harmonieux instauré, non sans peine, par Zeus, celui-ci décida de punir à la fois Prométhée et les hommes. C’est ainsi qu’il attacha Prométhée à un rocher sur le mont Caucase. Ensuite, il envoya un aigle pour manger son foie. Or, Zeus avait rendu ce foie immortel afin qu’il repousse chaque nuit et perpétue ainsi l’atroce supplice. Toutefois, beaucoup plus tard, Prométhée sera libéré par Héraclès lors de ses douze travaux. Concernant la punition destinée aux hommes, Zeus imagina un plan aussi redoutable que machiavélique. Voici la version d’Hésiode dans les « Travaux et les Jours. » Il raconte qu’Héphaïstos modela un être en tout point semblable à une chaste jeune fille (...) Athéna lui donna ensuite la vie, lui apprit l’art du tissage et la vêtit. Aphrodite lui donna la grâce et la beauté, Apollon, le talent musical. De son coté, Hermès lui enseigna le mensonge, l’art de la persuasion et la curiosité tandis qu’Héra lui octroya la jalousie. Autour d’elle, les Grâces divine et Persuasion, leur souveraine, nappèrent sa peau de colliers d’or, tandis que les Heures à la magnifique chevelure lui firent une couronne avec les fleurs du printemps. Dans sa poitrine, Hermès, place des mots doux et mensongers, sournois et trompeurs comme Zeus l’avait demandé. Enfin, le héraut des dieux lui donna une voix et on appela cette femme Pandora (Pandore) parce que tous ceux qui avaient élu domicile sur l’Olympe lui avaient offert un don. Quand Zeus eut mis au point ce piège fatal et imparable, il dépêcha l’illustre Hermès, le messager au sillage splendide, chez Epiméthée afin de lui offrir ce cadeau. Si Epiméthée avait suivi le conseil de Prométhée selon lequel il ne devait jamais accepter un présent de Zeus et, même, de le lui retourner de peur qu’il soit une vengeance du roi des dieux, l’histoire s’arrêterait là. Mais, désobéissant et irréfléchi, Epiméthée l’accepta. De fait, ce cadeau aurait pu rester anodin et, finalement, une charmante aubaine pour Epiméthée. Il n’en fut rien car Zeus avait remis à Pandore une boîte mystérieuse (en fait, une jarre) avec l’ordre de ne jamais l’ouvrir. Cette boîte abritait la vieillesse, les maladies, la famine, la guerre, la misère, la folie, le vice, le mensonge, la passion, l’orgueil ainsi que l’espérance. Bref ! Tous les maux de l’humanité !
16 - Seulement, à peine épousée par Epiméthée, Pandore céda à la curiosité qu’Hermès lui avait donnée et souleva le couvercle de la boîte. Aussitôt, tous les maux qu’elle contenait s’échappèrent à l’exception de l’espérance laquelle, sans doute moins véloce, resta enfermée lorsque, effrayée par les conséquences de son acte, Pandore referma le couvercle, mais trop tard,. »Auparavant, nous dit Hésiode, les tribus des hommes vivaient sur la terre, exemptes des tristes souffrances, du pénible travail et de ces cruelles maladies qui amènent la vieillesse promptement (...) Depuis ce jour, mille calamités entourent les hommes de toutes parts : la terre est remplie de maux, la mer en est remplie, les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Zeus les a privées de voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Zeus.
17 - Selon son mythe, l’avènement de Pandore et sa terrible erreur, marqua la fin de l’âge d’or. (Prochainement, nous allons voir que, la « faute d’Eve », eut les mêmes conséquences sur le Paradis terrestre...) Dans la mythologie grecque et romaine, l’âge d’or désigne une ère durant laquelle les hommes vivaient en paix, comme des dieux, à l’abri des maux qui s’échapperont ultérieurement de la boîte pandorique. En ce temps là, il n’y avait pas de peines, pas de misère. La vieillesse n’existait pas ; les hommes restaient toujours jeunes, étaient, tous, beaux et vivaient dans la joie. Nul n’était soumis au travail et la totalité des biens appartenaient à tous sans distinction de classe. Bref ! L’âge d’or portait bien son nom et, idéalement, cet Eden aurait pu perdurer toujours. Toutefois, en apparaissant, Pandore apporta un principe de réalité qui offrit une autre vision beaucoup plus réaliste du monde. Non ! Le monde n’est pas idyllique. La nature n’est pas bienveillante. Et, contrairement à ce que pensait J.J. Rousseau (1712-1778), « L’homme n’est pas naturellement bon. » Le monde étant ce qu’il est, imparfait, injuste et souvent cruel, les mythes de Pandore et d’Eve ont désigné un bouc émissaire : La femme. Finalement, et contrairement au destin fantasmé des hommes dans l’âge d’or ou dans le Paradis terrestre, la femme symbolise la réalité imposée à tous les êtres vivants.
18 - Maintenant, une question se pose : Quelles sont les conséquences imputables au mythe de Pandore sur la condition féminine ? D’une manière générale, on peut considérer que ce mythe a eu une influence importante sur la condition féminine dans la culture occidentale. Interprété de différentes manières au fil des siècles, ce mythe a été souvent utilisé pour justifier la domination masculine sur les femmes. Domination, d’ailleurs, qui repose sur l’idée selon laquelle les femmes seraient des êtres inférieurs aux hommes. Bien sur, le mythe de Pandore n’est pas le seul facteur qui a durablement affecté la condition féminine. Cependant, il a certainement joué un rôle important dans la création et la perpétuation des stéréotypes négatifs sur les femmes. Stéréotypes qui associent la femme à la tentation, la rouerie, la curiosité tout en symbolisant tous les maux qui affectent l’humanité. Ce mythe a également contribué à la marginalisation, tant juridique que domestique, des femmes dans la société.
19 - A l’instar de celui d’Eve, le mythe de Pandore diabolise la femme en la rendant responsable du mal, pour le premier, et des maux, pour le second. Ici, la femme n’est pas considérée comme un être humain à parité avec l’homme mais comme son adversaire quasi mortel. La femme est l’ennemie dont il faut à tout prix limiter le pouvoir de nuisance. En justifiant la discrimination puis la violence à l’égard des femmes qui en est le corollaire, cette conception illustre la perversité des mythes qui reposent sur l’ignorance et la crédulité humaine et non sur la raison. En prétendant expliquer la venue de la femme dans le monde, le mythe de Pandore a traîné toutes les femmes aux gémonies en leur déniant toute dignité.
Le mythe d’Eve
20 - Quittons Hésiode pour porter notre attention sur la genèse qui relate la création, et la « faute », d’Eve. Avant tout propos, je dois dire que je n’ai pas l’intention de me lancer dans une quelconque exégèse biblique ni, donc, d’épouser les pas des pères de l’Eglise. Mais, et par bonheur, je n’ai pas cette outrecuidance... Par ailleurs, et pour des raisons contextuelles, j’ai l’intention d’écourter cette partie de mon texte. Toutefois, et en tout premier lieu, je pense utile de relever l’ambiguïté qui drape la création d’Eve. En effet, l’univocité n’étant pas l’une des vertus cardinales des textes bibliques, ceux-ci proposent deux versions sensiblement différentes. La première, la version « élohiste » raconte que le couple humain, Adam et Eve, fut créé dans une stricte unité : « Il les créa, mâle et femelle... L’homme et la femme apparaissent ensemble... » Selon ce point de vue, l’homme et la femme seraient liés (es) dans une parfaite égalité et cela, dès leur origine. Seulement, tout serait quasiment parfait si la mythologie biblique n’avait pas proposé une nouvelle version : la version « yahviste » (Genèse II-25.) Selon ce nouveau son de cloche, le maître omniscient et omnipotent de l’univers profita de l’endormissement d’Adam pour extirper l’une de ses côtes afin de créer Eve qui devint, dès lors, sa compagne. (Note : Je ne pense pas utile de m’attarder sur les divergences de certains commentateurs au sujet de la traduction du mot « côte. ») Avec cette nouvelle version, nous ne sommes plus dans l’égalité de naissance évoquée par la version élohiste mais dans une antériorité d’existence au profit d’Adam...
21 - Comme on pouvait s’y attendre, et au détriment du genre féminin, l’exégèse chrétienne a privilégié la tradition yahviste. Par exemple, les textes de saint Paul, notamment les « Epîtres à Timothée », ont lourdement insisté sur la création seconde de la femme ouvrant ainsi la voie à son asservissement futur. Toujours dans le même ordre d’idées, « l’Epître aux Corinthiens » a fait de l’homme l’image à la gloire de Dieu et la femme à la gloire de l’homme. C’est ainsi que la dépendance, et la soumission subséquente de la femme, pourtant unilatéralement forgées du point de vue de l’homme, ont été justifiées par l’Ecriture.
22 - Ici, tout pourrait être dit mais la coupe n’était sans doute pas suffisamment pleine. Anomalie qui, manifestement, incita la mythologie biblique a enfoncer le clou... En effet, le récit originel que nous venons d’évoquer n’a pas paru suffisant à la « bienveillance divine » qui imagina un plan machiavélique afin d’aggraver le mauvais sort réservé à Eve. Dans le jardin implanté par l’instance divine, le « paradis terrestre » (souvenons-nous de « l’âge d’or » de la mythologie grecque), fut intégré un arbre dont les fruits étaient strictement interdits au couple humain. Cependant, mal inspiré par un serpent, le plus fin de tous les animaux, nous dit la Genèse, Eve se laissa séduire et mangea l’un des fruits de cet arbre avant de le proposer à Adam qui céda, lui aussi, à l’invite. Courroucé par une telle désinvolture, le démiurge ne pouvait rester sans mot dire. Que déclara-t-il ? Ecoutons la genèse III 9-19 : « J’augmenterais la souffrance de tes grossesses, dit-il à Eve, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. » En raison de sa participation à ce crime de lèse-majesté, Adam ne fut pas oublié : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris, car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. » Par voie de conséquence, les portes du « paradis terrestre » se sont définitivement fermées au genre humain qui, dès lors, va connaître tous les maux dont la mort, laquelle, selon saint Augustin, à la suite d’Epicure, d’ailleurs, ne serait pas le pire. L’espoir fait vivre, dit-on...
23 - Tout cela aurait pu rester anecdotique si Eve, à l’instar de Pandore, n’avait pas été considérée comme la source de tous ces maux, notamment par les pères de l’Eglise. Base de la morale chrétienne, le problème de fond qui sous-tend les mythes de Pandore et d’Eve est celui qui concerne la relation entre le bien et le mal. A ce propos, et dans le Théétète (176-177 a), Platon prête à Socrate cette réflexion : « Oui, mais il n’est pas possible, Théodore, que les maux disparaissent, car il faut toujours qu’il y ait quelque chose de contraire au bien (...) » Certes ! Mais le mal, qui est ce contraire au bien, est loin d’être une sinécure. Aussi, faut-il lui trouver une cause susceptible de dédouaner l’homme de toute responsabilité, celle-ci ne pouvant être attribuée aux dieux. Pandore et Eve ont donc été désignées pour assumer cette tâche dont le mode d’exécution, par l’intermédiaire de ce que l’on nomme « l’inconscient collectif », convenait parfaitement aux antagonismes nichés entre les hommes et les femmes. Car, et même s’ils sont des contributeurs zélés et des symboles évidents, les mythes, qui nous occupent ici, ne peuvent être tenus comme uniques responsables de la discrimination féminine. Plus encore, on peut supposer, qu’au-delà de cette discrimination, c’est la féminité en soi qui est visée. Visée par son pendant, complémentaire et contradictoire : la virilité, qui est un impérialisme existentiel prétendant asseoir sa légitimité sur un rapport de force dont il considère ne pouvoir sortir battu. Seulement, la virilité n’est pas aussi triomphante qu’elle le prétend. En effet, que serait-elle sans la féminité ? Une combattante sans adversaire ? Un manque sans objet de désir ? Une solitude infinie ? Voici les questions sur lesquelles devraient réfléchir les nombreux misogynes qui encombrent la planète. En tout cas je les y engage.
Encore quelques mots pour finir. Je ne suis qu’un homme qui a tenté de se pencher sur la condition féminine. Or, un homme, aussi bien intentionné soit-il, n’est pas une femme et ne peut donc la comprendre totalement. C’est pourquoi j’espère ne pas avoir heurté la sensibilité de certaines lectrices qui se seraient considérées trahies par mes propos. Propos, je le souligne, dont la seule vocation est d’attirer l’attention sur la discrimination, et parfois même le mépris, qui ont pénalisé les femmes, et qui les pénalisent toujours dans certains États voyous.
Avec toute ma reconnaissance à Monsieur Christian Duvielbourg qui gère ce site avec amitié et grand talent.
Patrick Perrin