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L'Europe d'après guerre

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L’EUROPE D’APRÈS-GUERRE


HISTOIRE

L’EUROPE D’APRÈS-GUERRE


Présentation


Dans mon précédent article "Europe : Logos ou polémos ?" nous avons constaté que, depuis le cinquième siècle, l’Europe était partagée entre une idée (logos) que l’on pourrait qualifier de ”continentale” et d’une réalité, bien moins ”idéaliste”, dominée par d’incessantes guerres (polémos) dont la dernière (survenue entre 1939 et 1945) fut une véritable tragédie humaine. Dans ce nouveau texte, nous allons nous pencher sur les conséquences géopolitiques de cette guerre dévastatrice pour l’Europe et, plus largement, pour le monde. En fait la ”guerre froide” qui va dominer l’histoire de l’Europe d’après guerre fut préparée par des conférences internationales essentiellement animées par Joseph Staline, Winston Churchill et Franklin Roosevelt. C’est au cours de ces rencontres diplomatiques que fut décidé le futur destin politique du ”vieux continent”. Il en résulta de fortes tensions géopolitiques entre, d’une part, les Etats-Unis et leurs alliés constitutifs du bloc de l’Ouest (alliance qui donnera naissance à l’OTAN en 1949) et, d’autre part, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et ses Etats satellites formant le bloc de l’Est (concrétisé par la constitution du pacte de Varsovie en 1955.) Divisée politiquement et idéologiquement, l’Europe va être, selon la célèbre formule de Churchill, séparée par un ”rideau de fer” jusqu’à la dislocation du pacte de Varsovie suivie, en décembre 1991, par celle de l’URSS. J’ai consacré beaucoup de pages à l’histoire de l’URSS (et, notamment, à la confrontation entre le capitalisme et le communisme) ainsi qu‘à celle de ses principaux dirigeants, en raison du rôle essentiel joué par cet empire durant les 46 ans pendant lesquels l’Est et l’Ouest s’affrontèrent sans, et pour le bonheur des peuples européens, aller jusqu’à une confrontation militaire directe. Ceci étant, l’Europe n’est pas restée inactive face à ces évènements. Tout au contraire, elle a amorcé, et poursuivi, son union. Mais, ce sera l’objet de mon prochain article...


Enfin, et bien que cet Etat soit très éloigné de l’Europe, j’ai tout de même évoqué le drame Rwandais marqué par le génocide auquel se livrèrent les Hutus contre les Tutsis en 1994. Pourquoi ? Parce que ce terrible conflit inter-ethnique a révélé les faiblesses de l’ONU en matière de maintien de la paix. Et, plus grave encore, son incapacité à assurer la protection des peuples, ou ethnies, menacés d’exactions, comme ce fut le cas, d’ailleurs, lors des guerres de Yougoslavie. Finalement, l’ONU, créée le 26 juin 1945, n’a pas su tirer les leçons des échecs de la SDN (Société des Nations) laquelle, et selon le vœu du président américain Wilson, l’avait précédée en 1919...


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L’EUROPE D’APRÈS-GUERRE


Carte de l'Europe en 1945.

1 - Au cours du précédent article (Europe : Logos ou polemos ?), nous avons survolé l’histoire tourmentée de l’Europe du Vème siècle jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Malgré ses inévitables lacunes (il faudrait écrire des milliers de pages ne serait-ce que pour approcher un tel sujet...), ce texte nous a cependant montré les conséquences humaines et politiques imputables à la désunion de ce continent. En effet, et durant les siècles parcourus, il fut le théâtre de guerres qui, pour la plupart, furent toutes aussi meurtrières qu’inutiles. D’ampleur mondiale (tout comme la première), la deuxième guerre qui a ensanglanté le XXème siècle a repoussé les limites de l’imaginable en raison de son inhumanité, de sa barbarie, et des énormes pertes humaines qu’elle a suscitées. Durant cette période, l’homme a sombré dans des abysses dont la nuit immobile a servi de tombeaux à beaucoup trop d’hommes, de femmes et d’enfants pris au piège de la folie humaine. Lorsque, en 1945 et dans une Europe dévastée, les armes finirent enfin par se taire (si l’on excepte la guerre civile qui se déroula en Grèce jusqu’en 1949), une inquiétude persista : récemment acquise, cette paix durerait-elle ? La capitulation allemande (signée par le général Jodl dans la nuit du 6 au 7 mai 1945) et celle du Japon (consentie à bord du cuirassé USS Missouri le 2 septembre de la même année) étaient-elles véritablement les dernières ? La concorde entre les peuples, sans laquelle aucune paix n’est possible, avait-elle réellement triomphée ? Finalement, et contrairement à l’espérance déçue née au lendemain de la première guerre mondiale, la seconde était-elle la ”der des ders ?”


2 - La réorganisation géopolitique de l’Europe de l’après-guerre ne débuta pas au lendemain de la capitulation allemande. En effet, et dès l’année 1943, les trois principaux dirigeants des alliés (Roosevelt, Staline et Churchill) l’avaient anticipé alors que l’Est du continent était toujours embrasé par la guerre. C’est ainsi que du 18 octobre au 11 novembre 1943 se déroula la première conférence de Moscou. Cette conférence réunit les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, de l’Union soviétique et du Royaume-Uni (rejoints par l’ambassadeur de Chine), Ces entretiens diplomatiques débouchèrent sur la Déclaration de Moscou, elle-même composée de quatre déclarations. La première (que l’on peut considérer comme la génitrice de ”L’ONU”) appela à la création d’ « une organisation générale fondée sur le principe d’une égale souveraineté de tous les Etats pacifiques. » (Réapparaît, ici, le quatorzième point du président des Etats-Unis Woodrow Wilson exposé lors de son discours du 8 janvier 1918 : « Une association générale des nations doit-être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriales aux petits comme aux grands Etats. » Annonciatrice des poursuites judiciaires engagées lors du tribunal de Nuremberg, la seconde dénonça les atrocités commises par le troisième Reich. La troisième déclaration proclama comme nulle et non-advenue l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938 (l’Anschluss.) Enfin, la quatrième déclaration décréta l’éradication du fascisme en Italie et l’instauration d’une véritable démocratie dans ce pays. La conférence de Moscou ne resta pas lettre morte. En effet, la première déclaration aboutit à la fondation de la charte de l’ONU (le 26 juin 1945) ; la deuxième, au procès de Nuremberg (débuté le 20 novembre 1945) ; la troisième, à l’indépendance de l’Autriche et la quatrième, à l’instauration de la démocratie en Italie.


3 - Inscrite dans ce même cadre diplomatique, une seconde conférence débuta le 28 novembre 1943 à Téhéran. Durant cette nouvelle rencontre (ayant réuni pour la première fois Churchill, Roosevelt et Staline), une décision politique de la plus haute importance et deux décisions d’ordre militaire furent prises. Concernant directement la réorganisation de l’Europe future, la décision politique (bicéphale, en réalité), décréta le démembrement de l’Allemagne, auquel fut corrélé le déplacement vers l’ouest de la Pologne, et le partage de l’Europe en zones d’influence. Génératrice d’âpres et dangereuses discordes futures entre l’Ouest et l’Est, cette dernière initiative (principalement due à Staline), aura d’énormes conséquences par la suite. Sur le plan militaire, Staline et Roosevelt rejetèrent un projet britannique d’offensive dirigé contre l’armée allemande par la Méditerranée et les Balkans. Par contre, l’organisation d’un débarquement en Normandie (durant le mois de mai 1944) fut entérinée. Ce débarquement (l’« Opération Overlord ») qui devait être synchronisé avec une opération contre le sud de la France, suscitera, ultérieurement, une déclaration de Staline selon laquelle l’URSS s’engageait à lancer une grande offensive simultanée afin d’empêcher le transfert des troupes allemandes de l’Est vers l’Ouest. Ayant eu pour objectif un accord politique et militaire, la conférence de Téhéran ne fut pas suffisante. En effet, c’est du 4 au 11 février 1945 que la conférence de Yalta viendra la compléter. Pour finir, c’est également durant cette rencontre que les trois dirigeants alliés convinrent de créer l’ONU (Organisation des Nations unies) à la suite, il est vrai, d’une décision similaire prise lors de la conférence de Moscou.


4 - Toutefois, et en l’absence de Roosevelt (qui délégua l’ambassadeur en URSS, Averell Hamman, assisté par le général John Russell Deane) une nouvelle conférence interalliée, qui, entre autres, précéda celle de Yalta, survint une nouvelle fois à Moscou, entre le 9 et le 19 octobre 1944. Durant cette rencontre, furent évoquées l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon et, reprenant ainsi une décision prise lors de la conférence de Téhéran, la division de l’Europe en zones d’influence. Partage qui préfigura le « partage du monde » qui sera à l’origine de la « guerre froide. »


5 - Cette répartition territoriale et politique fut officialisée durant la Conférence de Yalta qui se déroula, du 4 au 11 février 1945, en présence de Staline, Churchill et Roosevelt. Capitale du point de vue géopolitique, cette rencontre fut un marché de dupes dont le grand vainqueur fut incontestablement Staline. En effet, l’objectif principal du chef de l’URSS se résume en peu de mots : confirmer les acquis obtenus lors des conférences de Téhéran et de Moscou. Le principal argument avancé par Staline fut celui-ci : préserver l’Union soviétique d’éventuelles (de futures ?) attaques comparables à celles qui affectèrent son pays en 1914 et 1941. Pour ce faire, assena-t-il à ses interlocuteurs, l’URSS devait être protégée par un glacis territorial et politique. Sa tâche, il est vrai, fut facilitée, à la fois, par la santé chancelante de Roosevelt et de sa naïveté envers les desseins réels du discours stalinien. Que l’on en juge : « Si je lui donne, déclara-t-il, tout ce qu’il me sera possible de donner sans rien réclamer en échange, noblesse oblige, il ne tentera pas d’annexer quoi que ce soit et travaillera à bâtir un monde démocratique et de paix. » On croirait entendre Chamberlain ou Daladier au lendemain des accords de Munich...


6 - En réalité, la préoccupation essentielle de Roosevelt concernait la création de la future Organisation des Nations unies (l’ONU.) Il voulait absolument réussir, là où le président Wilson avait échoué en raison de l’impéritie de la Société des Nations (SDN.) Ce désir d’universalisation explique, pour une grande part, sa relative compréhension envers Staline lequel, bien évidemment, exploita sans vergogne cette opportunité. Finalement, la Conférence de Yalta entérina un rapport de force entre Américains et Soviétiques, rapport de force qui ne pouvait qu’inéluctablement conduire à la guerre froide. Ceci étant, cette confrontation (qui fut, notamment, à l’origine du partage de la Corée en deux zones d’influence, l’une, américaine, et l’autre, soviétique) déborda très largement le seul cadre territorial. De fait, ces politiques, que l’on peut qualifier ”d’impérialistes” (à prépondérance économique du coté américain, et territoriale du coté soviétique), furent sous-tendues par une véritable guerre idéologique qui opposa l’Est et l’Ouest. Considérée sous cet angle, une telle confrontation définit le contexte géopolitique de l’après guerre en confrontant deux systèmes politico-économiques : le collectivisme soviétique opposé au libéralisme anglo-saxon.


7 - Ici, une question s’impose : lequel de ces deux systèmes fut-il le plus utile, le plus bénéfique, pour les peuples ? L’un et l’autre servirent-ils véritablement le bien commun ? Ou, plus vraisemblablement, ne furent-ils que des palliatifs aux inégalités consubstantielles à la condition humaine ? Issu d’une noble et révolutionnaire idée marxiste : l’abolition des classes sociales, le collectivisme, prôné en URSS, apporta-t-il un bonheur nouveau aux Soviétiques (et, plus tard, aux peuples ”satellites”) ou ne fut-il qu’un nouvel outil d’asservissement ? J’aimerai pouvoir répondre par l’affirmative mais, malheureusement, l’histoire ne peut que m’en dissuader. Sans doute insoucieuse de la nature humaine, la redistribution (avortée) des richesses fut effectivement tentée mais aux dépens des libertés les plus fondamentales. Evidemment, j’y reviendrai, mais dès à présent, déplorons que le stalinisme fut une terrible dictature qui alimenta sans relâche les camps du ”Goulag”. Les plus élémentaires droits de l’homme furent bafoués sous le couvert d’un Etat géré par un tyran paranoïaque animé par un seul désir : asservir et détruire tous ceux qui avaient l’audace de lui résister ! Décidément, la Révolution d’octobre 1917 eut un curieux destin...


8 - Du coté occidental, le libéralisme économique (dont les premières formulations remontent à l’Ecole de Salamanque aux XVe et XVIe siècles) paraît plus respectueux des droits fondamentaux dont devraient bénéficier tous les hommes si le monde était vraiment humain. Cette hypothèse, qui pourrait paraître idyllique, doit être cependant nuancée. En effet, le libéralisme n’a pas besoin de camps. Il possède une arme bien plus redoutable : l’argent ! De surcroît, le libéralisme économique (à ne surtout pas confondre avec le libéralisme des ”Lumières”) ne méconnaît pas les inégalités qu’il engendre mais il sait se donner bonne conscience. C’est ainsi que nous devons à Adam Smith (1723/1790) le concept de la ”main invisible” qui est censée redistribuer en intérêt général la somme des intérêts particuliers. (Lointain ancêtre de la théorie du ”ruissellement”, si chère ”au monarque républicain” qui dirige notre pays depuis 2017, la main invisible ne paraît pas, jusqu’à aujourd’hui, être très soucieuse de son efficacité...)


9 - De fait, le libéralisme économique (initiateur du capitalisme, ne l’oublions pas) est plus présentable que le collectivisme. Reposant sur l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme de 1789, selon lequel la propriété est un droit inviolable et sacré (nous retrouvons, ici, le sentiment du philosophe grec : Aristote), ce système économique peut même se prévaloir d’une origine philosophico-juridique élogieuse. Grand bien lui fasse mais peut-il, pour autant, se targuer d’être au service du plus grand nombre ? Alors, certes ! Les libertés individuelles sont à peu près préservées. Mais à quel prix ? Que pensent les pauvres laissés au bord du chemin de la prospérité capitaliste ? Oui, que pensent-ils de ce système promulgateur de tant d’injustices ?


10 - Fermons cette longue parenthèse économico-sociale et reprenons le fil de notre narration. Nous nous étions arrêtés aux conséquences de la Conférence de Yalta dont l’une fut la division de l’Europe en deux zones d’influence diamétralement opposées tant sur le plan politique qu’économique. Débutée le 17 juillet 1945, et terminée le 2 août de la même année, la Conférence de Postdam succéda tout naturellement à celles de Téhéran et de Yalta. Roosevelt absent (il est décédé le 12 avril 1945), son successeur Harry Truman représenta les Etats-Unis autour de la table des négociations occupée également par Staline et Churchill. Une nouvelle fois, le sort des puissances opposées aux alliés fut évoqué et, notamment, celui du Japon auquel un ultimatum fut signifié (le 26 juillet) au nom des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la république de Chine. (Déjà évoquée dans mon précédent article, je ne reviendrais pas sur la capitulation du Japon signée le 2 septembre 1945.)


11 - La conférence inter-alliée de Postdam fut la dernière consacrée à l’après guerre de l’Europe. L’instauration de nouvelles frontières qui en découla (abstraction faite, cependant, de la Yougoslavie, désintégrée à la suite de la mort de Tito survenue le 4 mai 1980) reste encore en vigueur aujourd’hui. Bien évidemment, le Troisième Reich fut démantelé (le démembrement de l’Allemagne en trois états, ou plus, a même été envisagé. Toutefois, cette idée fut abandonnée lors de la conférence de Postdam) C’est ainsi que l’Autriche retrouva son autonomie tandis que la frontière entre l’Allemagne et la Pologne fut repoussée vers l’ouest. Ayant également perdu la Silésie, l’Allemagne vit son territoire réduit d’environ 25%. Furent également imposés le désarmement du pays (plus sévère encore que celui décidé lors du Traité de Versailles), sa dénazification, la décartellisation des grands cartels fusionnés sous la tutelle nazie, une décentralisation destinée à affaiblir le pouvoir allemand fortement centralisé durant le nazisme et, enfin, l’instauration d’une démocratie véritablement durable. Faisant suite à la conférence de Moscou (précédemment évoquée), les alliés décidèrent de juger les criminels de guerre (ce seront les procès de Nuremberg.) Enfin, et au titre de dommages de guerre, l’Allemagne dut payer aux alliés 20 milliards de reichsmarks notamment par le transfert de machines et d’usines en France, en Union soviétique et au royaume-Uni.


12 - L’une des questions essentielles soulevées lors de la conférence de Postdam fut celle-ci : que faire d’une Allemagne responsable des deux guerres qui ont ensanglanté l’Europe du XXème siècle (sans compter celle qui opposa la Prusse et la France en 1870.) Et, surtout, comment préserver l’avenir de tels désastres humains d’autant qu’un nouveau conflit s’installait inexorablement entre l’Est et l’Ouest ? Compte tenu de son bellicisme avéré, il fallait absolument empêcher l’Allemagne de redevenir une grande puissance militaire quitte à amenuiser son potentiel industriel. Dans un tout premier temps, ce pays devait être assujetti à une tutelle politique et militaire ce qui explique la décision prise de l’occuper (ainsi que l’Autriche, d’ailleurs.) Initialement, seuls les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS devaient assurer cette tâche. Mais, et à la suite d’une décision (soutenue par Churchill) prise lors de la Conférence de Yalta, la France obtint l’octroi d’une zone d’occupation insérée dans celles imparties aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. La zone attribuée à l’URSS (située à l’Est de l’Allemagne) resta inchangée. Durant cette occupation (qui prendra effectivement fin en 1949), l’Allemagne perdit sa souveraineté. Conséquemment, un Etat central allemand fut banni. De son coté, la ville de Berlin fut divisée en quatre zones occupées par les alliés. La plus grande partie, située à l’Est, fut octroyée à l’URSS ; La partie Centre-Nord, à la France. L’Ouest, au Royaume-Uni et le Sud-Ouest, aux Etats-Unis. Cette quadri-partition, qui va bientôt devenir une bi-partition, aura, ultérieurement, des conséquences dramatiques pour la ville.


13 - Nichée au creux de sa péninsule, l’Italie ne fut pas épargnée par la réorganisation de l’Europe et d’une partie de l’Afrique. (Rappelons que dans mon précédent article, j’ai évoqué la politique impérialiste de Mussolini qui lui permit d’annexer l’Albanie ainsi que certains Etats africains.) Concernant ces annexions, et en dépit de son ralliement aux alliés (le 8 septembre 1943), les décisions prises lors de la conférence de Postdam furent lourdes pour l’Etat italien De fait, et indépendamment de la libération de l’Albanie (qui recouvra ainsi son indépendance) et la restitution des cantons français annexés durant la guerre, l’Italie dut également renoncer à ses conquêtes africaines. C’est ainsi qu’elle fut contrainte de se départir de l’Erythrée (qui sera, plus tard, cédée à l’Ethiopie), de la Somalie italienne (qu’elle administrera à nouveau de 1950 à 1960), de la Libye italienne (qui deviendra indépendante en 1951) et de l’Ethiopie (qui retrouva sa souveraineté.) Finalement, et bien qu’elle réchappa à une occupation conjointe des alliés, l’Italie redevint ce qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être : un modeste pays européen !


14 - Dernière conférence tenue en temps de guerre, celle de Postdam a tracé les grandes lignes du très proche avenir de l’Europe, principale victime du terrible affrontement qui venait de dévaster une grande partie du monde. Ce continent est en ruine et en proie à la confusion la plus totale. Le bilan humain est terrifiant : plus de 60 millions de morts. Tout est à reconstruire, à commencer par les infrastructures. Il faut notamment, et dans l’urgence, reconstruire des villes totalement rasées par les bombardements. Il faut reconstituer les circuits économiques afin de nourrir les peuples affamés. Et puis, il faut restaurer les relations humaines mises à mal par les persécutions racistes, idéologiques et politiques sans précédent qui ont attisé la haine entre les peuples. De leur coté, les Allemands devront (et pour longtemps !) assumer leur barbarie et vivrent avec le souvenir du génocide qui causa la mort à environ 6 millions de juifs dont la plupart fut gazée dans les chambres à gaz du IIIè Reich (la Shoah.) Dans cet univers lunaire, les tâches sont immenses et il faudra beaucoup d’hommes de bonne volonté pour les mener à bien.


15 - Parmi ces hommes, deux se distinguèrent particulièrement : les Présidents américains Woodrow Wilson (4 mars 1913-4 mars 1921) et Franklin Roosevelt (4 mars 1933-12 avril 1945) Afin d’éviter une réflexion qui nous ramènerait à la Première guerre mondiale, nous ne reviendrons pas sur le généreux programme politique du Président Wilson ni sur ses ”quatorze points” exposés lors de son célèbre discours prononcé devant le Congrès américain le 8 janvier 1918. Rappelons, cependant, que ces quatorze points servirent de base politique au traité de Versailles (signé le 28 juin 1919) et à la constitution de la SDN (Société des Nations qui sera, en 1946, remplacée par l’ONU.)

Note : Le sénat des Etats-Unis refusa à la fois de ratifier le traité de Versailles et d’entrer dans la Société des Nations. Apparemment contradictoire avec l’implication militaire des Etats-Unis dans le premier conflit mondial, on peut supposer que cette décision (pour le moins malvenue) fut inspirée par la politique non-interventionniste menée par les Etats-Unis depuis leur indépendance proclamée en 1776.


16 - C’est le 6 janvier 1941 que le Président Roosevelt prononça son célèbre discours des ”quatre libertés”. Les deux premières : liberté d’expression et liberté de religion, reprirent le 1er amendement de la Constitution américaine dont voici l’intitulé : « Le congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. » Les deux dernières : liberté de vivre à l’abri du besoin et liberté de vivre à l’abri de la peur, définirent le droit à la sécurité économique. Ces quatre libertés (qui ont inspiré au peintre Norman Rockwell les tableaux exposés récemment au Mémorial de Caen) eurent une influence considérable sur le cadre juridico-politique de l’après guerre. C’est ainsi que la Charte de l’Atlantique, déclaration effectuée conjointement par Roosevelt et Churchill le 14 août 1941, reprit et compléta le discours des quatre libertés.


17 - Pour comprendre les idéaux universalistes exposés dans la Charte de l’Atlantique, il faut se souvenir de ceci : la paix n’a véritablement de sens que pour ceux qui ont subi la guerre. Il faut également se souvenir que la guerre, c’est la mort infligée légalement d’où, d’ailleurs, le déchaînement de la barbarie qu’elle favorise impunément. Et c’est pourquoi, nous devons honorer des hommes comme Wilson, Roosevelt, Churchill et quelques autres, pour avoir tenté de l’éradiquer définitivement de notre planète. Bien qu’inefficace (comment aurait-il pu en être autrement dans une Europe ravagée par la guerre ?), la Charte de l’Atlantique eut un mérite : ouvrir la voie à une réflexion politico-humaniste qui aboutira à la création de l’ONU lors de la Conférence de San Francisco en 1945. Seulement, et auparavant, il fallut bien se débarrasser du nazisme : « Une fois définitivement détruite la tyrannie nazie, proclama l’article 6 de la Charte, ils espèrent (les peuples) voir s’établir une paix qui fournira à toutes les nations les moyens de demeurer en sûreté dans leurs propres frontières (...). » De fait, cette Charte suscita une grande espérance chez les peuples asservis par le nazisme ; espérance qui laissa entrevoir l’émergence d’une organisation mondiale garante de la paix et de la liberté. Evidemment, la Charte de l’Atlantique n’eut guère de valeur juridique mais cela n’amenuisa pas son importance historique car elle émana de nations pacifiques dont la bonne volonté et la détermination ne pouvaient être contestées.

Note : En raison de son importance historique, je vous propose de nous pencher assez longuement sur la création de l’ONU, ses objectifs et, malheureusement, ses échecs. Evidemment, lorsque cette parenthèse sera close, nous reviendrons sur notre sujet principal : l’Europe.


18 - La création de l’ONU (Organisation des Nations unies) fut la principale décisions adoptée lors de la Conférence de San Francisco (25 avril/26 juin 1945.) Les principes, notamment juridiques, de cette nouvelle organisation internationale (qui se substitua à la SDN en 1946) furent définis par la Charte des Nations unies (parfois appelée Charte de San Francisco) adoptée le 25 juin 1945. Les objectifs de cette Charte furent déterminés en fonction d’une question malheureusement récurrente : comment protéger les peuples de la guerre ? Question qui en suscita une autre : qu’elles sont les procédures à suivre afin de régler pacifiquement les différents conflits entre les nations ? Faute de moyens de pression, notamment militaires, de consensus politique et, surtout, de volonté politique, la SDN avait échoué. Alors, comment se prémunir contre un nouvel échec ? Pour ce faire, les rédacteurs de la Charte des Nations unies ont imaginé une organisation bicéphale censée représenter le plus grand nombre possible d’Etats. En tout premier lieu, fut décidée la constitution d’une Assemblée générale (qui représente depuis 2011, 193 Etats membres), mais dont le rôle est essentiellement consultatif. Toutefois cette assemblée peut se substituer au Conseil de sécurité lorsque ce dernier n’est plus en mesure d’assurer ses fonctions. Ce fut le cas lorsque les forces nord-coréennes envahirent la Corée du Sud en franchissant le 38e parallèle en juin 1950. Parallèlement à la mise en place de cette assemblée, fut décidée la création d’un Conseil de sécurité. Composé de quinze membres, ce conseil comporte deux groupes aux statuts différents. Le premier est composé de dix membres (depuis le 17 décembre 1963), élus par l’Assemblée générale, pour une durée de deux ans, et le deuxième de cinq autres membres, permanents, qui disposent d’une importante prérogative politique : le droit de veto. (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie.)

Note : La résolution 2758, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1971, a évincé Taiwan au profit de la République populaire de Chine qui, désormais, devint la seule représentante légale de ce pays tant dans l’Assemblée générale qu’au Conseil de sécurité. De son coté, et à la suite de la dissolution de l’URSS, le Président Boris Eltsine adressa une lettre au secrétaire général de l’ONU, le 24 décembre 1991. Selon ce courrier, la Fédération de Russie succédait à l’Union soviétique au Conseil de sécurité. Ce changement fut entériné par le Conseil en janvier 1992.


19 - Juridiquement et politiquement, le Conseil de sécurité est l’organe exécutif de l’ONU. Sa vocation essentielle est de maintenir la paix et la sécurité internationale. Voici l’intitulé de l’article 24 de la Charte : « Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale. » Pour ce faire, le Conseil dispose de pouvoirs spécifiques : instauration de sanctions internationales ou, même, interventions militaires. Certaines décisions, appelées ”résolutions”, du conseil de sécurité ont force exécutoire si les membres de ce conseil ont décidé de les appliquer. Rappelons, cependant, que le vote des cinq membres permanents devant être unanime, il suffit qu’un seul de ces membres, qui disposent du droit de veto, y recoure pour qu’une résolution soit rejetée.

Note : En réalité, le droit de veto (antidémocratique, notons-le) est un droit a posteriori qui consiste à invalider un texte préalablement adopté. Il ne consiste donc pas à s’opposer a priori à l’adoption d’un texte. C’est pourquoi le terme ”droit de blocage” serait mieux adapté. L’URSS, entre autres, a plus qu’abusé de son droit de veto. Entre 1946 et 2017, sur 196 propositions de résolution bloquées par un veto, 105 l’ont été par ce pays.


20 - Parmi les problèmes juridiques auxquels est confronté le Conseil de sécurité, l’instauration du droit de veto n’est pas l’un des moindres. En effet, et comme nous venons de le noter, il suffit qu’un seul des cinq membres permanents s’oppose à une résolution pour que celle-ci soit immédiatement invalidée. Ce cas de figure se produit, notamment, lorsqu’une résolution propose un mécanisme particulièrement coercitif : embargo, blocus ou intervention directe des forces militaires sous mandat de l’ONU. En effet, les idéaux humanistes de cette Organisation internationale n’effacent pas les tensions géopolitiques qui altèrent les relations entre les Etats. Par ailleurs, l’un des problèmes essentiels auquel se heurte l’ONU résulte du fait qu’elle ne dispose ni d’un corps d’intervention ni d’un état-major autonome et cela en dépit d’une disposition ad hoc prévue dans la Charte de 1945 (articles 45 à 47.) Conséquemment, elle dépend du bon vouloir politique des grandes puissances qui la dominent. (Notons, d’ailleurs, qu’il en va exactement de même en ce qui concerne l’Europe.)


21 - Outre ces lacunes d’ordre spécifiquement politique, l’un des autres handicaps majeurs de l’ONU est du à la rédaction même de la Charte des Nations unies. En effet, ce texte comporte, entre autres, deux chapitres qui, s’ils ne sont pas véritablement antagonistes, divergent au niveau des moyens à mettre en œuvre pour honorer leurs objectifs. Le Chapitre VI, que l’on peut qualifier de ”consultatif”, privilégie la diplomatie. Voici l’intitulé du début de son Article 33 : « Les parties à tout différent dont la prolongation pourrait menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationale doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, de médiation ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix, et que le Conseil de sécurité invite les parties à régler leur différent par de tels moyens. » Peut-être qu’en matière de querelle de voisinage de telles recommandations pourraient avoir une quelconque efficacité mais, face aux velléités belliqueuses d’une dictature, on peut en douter... Plus efficient, le Chapitre VII est, de fait, bien plus coercitif. Faisant suite à l’Article 39 (qui constate une menace à la paix), suivi de l’Article 40 (qui enjoint d’empêcher la situation de s’aggraver), poursuivi par l’Article 41 (qui préconise des mesures n’impliquant pas l’emploi de la force militaire), l’Article 42 est beaucoup plus explicite : « Le conseil de sécurité est habilité à recourir à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales s’il estime que les mesures non militaires ne seraient pas adéquates ou ne l’ont pas été (...) » Dans ce contexte, et lors d’importants conflits, une question s’est quasiment toujours posée : A quel chapitre une résolution doit-elle se référer ? Le sixième (plus conciliant) ou le septième (plus menaçant) ? Toute l’histoire de l’ONU baigne dans ce dilemme.


22 - Parmi les nombreux exemples que l’on pourrait évoquer, il en est un (survenu en Irak en avril 1991) qui fut particulièrement emblématique : l’intervention de l’ONU lors du recours à l’arme chimique par Saddam Hussein contre les villages kurdes installés dans son pays.

Note : Ne pas confondre cette intervention effectuée sous mandat onusien avec la première guerre du Golf (”Tempête du désert”) débutée le 17 janvier 1991 à la suite du vote de la résolution 678 par le Conseil de sécurité. Ni, non plus, avec la très controversée deuxième guerre du Golf menée essentiellement par les Américains (sous l’administration de George W. Bush) à partir du 20 mars 2003. Cette guerre fut conduite sans l’aval du Conseil de sécurité et, par conséquent, en totale violation de la Charte de l’ONU.


Devant l’imminence d’une catastrophe humanitaire, le Conseil de sécurité a voté (sur proposition française, au nom du ”devoir d’ingérence humanitaire”) la résolution 688 du 5 avril 1991 enjoignant aux autorités irakiennes de mettre fin, sans délai, à cette répression. Bien qu’elle ne précisa pas sa base juridique (Chapitres VI ou VII), les alliés qui ont lancé l’opération Provide Comfort se sont fondés sur cette résolution qu’ils considérèrent comme émanant du Chapitre VII. Par ailleurs, et comme le nota Bernard Kouchner de l’organisation ”Médecins sans frontières” : « La résolution 688 des Nations Unies avait codifié l’ingérence : pour la première fois, on avait signifié à un dictateur qu’il n’avait aucun droit de massacrer ses propres populations, même chez lui. »


23 - Cette réflexion de Bernard Kouchner est essentielle car elle dénonce indirectement la prépondérance de l’égalité souveraine des Etats au détriment des droits de l’homme. Droits non respectés par certains dictateurs qui n’hésitent pas à martyriser leur propre peuple. Allant à l’encontre de l’article 2 paragraphe 7 de la Charte qui : « n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat », Bernard Kouchner plaide pour le droit d’ingérence exercé contre des Etats voyous. Toutefois, et avant de traîner la Charte aux gémonies, il faut se souvenir qu’elle fut rédigée en 1945 (le 26 juin.) A cette époque, nous sommes presque parvenus à la fin de la Deuxième guerre mondiale qui résulta d’agressions répétées de l’Allemagne, et du Japon, contre leurs Etats voisins. Il s’agissait donc bien d’ingérences délibérées d’Etats belliqueux contre d’autres Etats. Dans ce contexte, il aurait été difficile aux rédacteurs de la Charte d’inclure une disposition autorisant une intervention directe à l’intérieur d’un Etat dans leur texte. Seulement, en 1991, presque cinquante années se sont écoulées. Et la paix, notamment en Europe, semble vouloir durer. Aussi, et contrairement à l’invasion du Koweït par les troupes irakiennes (qui, comme je l’ai précédemment évoqué, suscita la première guerre du Golf en 1991), le bombardement des villages kurdes était une violation directe des Droits de l’homme (au sein d’un Etat) qui ne pouvait donc laisser la communauté internationale totalement indifférente. (Les Juifs d’Europe n’eurent pas cette chance...)


Génocide, Rwanda 1994.

24 - Si cette intervention en Irak est à porter au crédit de l’ONU, ce fut loin d’être le cas lors du génocide des Tutsis, survenu au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994. Génocide, soulignons-le, alimenté par les messages de haine anti-Tutsis diffusé par l’ignoble Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM.)

Note : D’évidence, le Rwanda est loin d’être un Etat européen. Aussi, est-on en droit de se demander pourquoi il est évoqué, ici. Tout simplement pour illustrer les ambiguïtés de l’ONU voire, son impéritie, lorsque survient, dans le monde, un conflit aussi sanguinaire que le fut celui-ci. (Il en sera de même, d’ailleurs, lors des guerres de Yougoslavie que j’évoquerais à la fin de cet article.)

Inscrite dans la lignée de la barbarie humaine, cette abomination (il n’y a pas d’autre mot) provoqua la mort, dans des conditions souvent atroces, de presque un million de Rwandais, Tutsis, pour la plupart. Bien qu’il ne soit pas possible, ici, de nous attarder trop longuement sur les causes historiques ayant conduit à ce génocide (pour l’étymologie de ce terme, voir la note suivante), nous devons, cependant, évoquer le rôle désastreux joué, notamment, par la Belgique.

Note : C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale (en 1944) que Raphael Lemkin (juriste juif polonais) fonda le néologisme : ”génocide”. à partir du grec genos (genre, espèce, race) et de cide issu du mot latin caedere (tuer, massacrer.) D’une manière générale, le terme génocide signifie : tuer des gens uniquement parce qu’ils appartiennent à un peuple ou à une ethnie.

Dans un premier temps, la puissance coloniale (la Belgique, donc) favorisa l’élite tutsi puis inversa sa politique (principalement sous l’influence du clergé flamand) en soutenant le clan des Hutus. Dès lors, et bien que relative, la concorde qui préexistait entre les deux clans, ne cessa de se détériorer. Sans doute inspirée, (en tout cas, nous pouvons le supposer...), par la loi No 1077 du 11 décembre 1942 adoptée par le gouvernement de Vichy, (loi qui imposait aux juifs la mention ”juif” ou ”juive” sur leurs cartes d’identité), la Belgique prit une décision du même ordre à l’encontre des rwandais. C’est ainsi qu’en 1933, la puissance coloniale créa une carte d’identité indiquant l’appartenance ethnique des personnes concernées. Cette ignoble décision causera la mort de dizaines de milliers de Tutsis repérés en tant que tels par ce document.


25 - Tout comme, d’ailleurs, celui des juifs d’Europe durant la Seconde guerre mondiale, le génocide des Tutsis (et beaucoup de Hutus modérés, notons le) ne surgit pas du jour au lendemain. En effet, son origine s’inscrivit dans la guerre civile rwandaise qui déchira le pays entre 1990 et 1994. Lors de cette guerre, s’affrontèrent deux forces militaires : l’une, les Forces armées rwandaises (FAR) de l’Etat intérimaire rwandais (géré par les Hutus et soutenu par la France) et l’autre, le Front patriotique rwandais (FPR) constitué, dès le début, par des Thusis exilés en Ouganda. C’est entre le mois d’août 1992 et le mois de juillet 1993, qu’une tentative de conciliation aboutit aux ”accords d’Arusha”. Pour garantir le respect de ces accords, l’ONU adopta, le 5 octobre 1993, la résolution 872 afin d’envoyer une mission de paix au titre du chapitre VI de la Charte des nations unies. Ainsi fut créée la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR.) Seulement, et comme nous l’avons déjà noté, le chapitre VI interdisait aux forces du maintien de la paix (”Casques bleus”) de recourir aux armes pour honorer leur mission à l’exception, cependant, de cas avérés de légitime défense. Indépendamment de cette carence juridique, la MINUAR fut pénalisée par un manque notoire de moyens, tant sur le plan des effectifs que sur celui de l’équipement, auquel s’ajouta d’interminables atermoiements politiques au sein même de l’ONU. Aussi, fut-elle très rapidement dépassée par l’ampleur des tueries qu’elle était censée empêcher.


26 - Confronté à l’impuissance de la MINUAR, le Conseil de sécurité de l’ONU adopta la résolution 929 du 22 juin 1994 autorisant la France à intervenir militairement au Rwanda au nom, cette fois-ci, du chapitre VII de la Charte.

Rappel : Le chapitre VII de la Charte de l’ONU autorise une : « action (militaire) en cas de menace contre la paix, de rupture contre la paix et d’acte d’agression. » De son coté, le chapitre VI de cette même Charte préconise le « règlement pacifique des différents. »

Seulement, et dès son déclenchement, cette opération (dite : ”Opération Turquoise”) fut affectée par la position de la France dans le conflit rwandais. De fait, cette mission avait pour but de faire cesser les massacres, notamment de Tutsis, mais, curieusement, en incitant les Forces armées rwandaises (donc gouvernementales et essentiellement constituées de Hutus) à rétablir leur autorité et cela, alors qu’elles étaient directement impliquées dans le génocide. Cette pseudo-neutralité fut, et à juste titre, reprochée à la France qui privilégia des considérations d’ordre politique au détriment de son devoir humanitaire. Toutefois, et indépendamment de cette ambiguïté politique, l’opération Turquoise fut loin d’être un échec. Car, et même si c’est peu au regard du million de victimes causé par le génocide, les forces françaises parvinrent tout de même à sauver la vie d’environ 15 000 personnes. Elles assurèrent, en effet, la protection de camps de réfugiés (comme celui, par exemple, de Nyarushishi) et organisèrent des opérations d’exfiltrations de rescapés des massacres. Les forces de l’opération Turquoise parvinrent également à créer une ”Zone Humanitaire Sûre” dans le sud-ouest du Rwanda afin d’empêcher les affrontements entre les Forces armées rwandaises du gouvernement génocidaire et le Front patriotique rwandais qui, militairement, accroissait son ascendant. Sur le plan politique, la France de François Mitterrand finit par considérer le gouvernement intérimaire rwandais comme directement responsable du génocide des Tutsis. Ce revirement politique de la dernière minute, couplée à l’avance inexorable des troupes du FPR (Front patriotique rwandais) provoquèrent la fuite du gouvernement rwandais et, conséquemment, la cessation du génocide. Toutefois, ce dénouement positif pour les Tutsis rescapés du génocide fut entaché par le laxisme impardonnable de la France. Inexplicablement, le désarmement des troupes génocidaires fut largement insuffisant et, beaucoup plus grave encore, aucune arrestation de ces criminels sans nom ne fut opérée. Pire ! Les autorités françaises auraient même fourni des passeports à plusieurs membres du gouvernement intérimaire rwandais dont la plupart était directement responsable du génocide. Notons que beaucoup de nazis, et, souvent, grâce à la bienveillante neutralité du Vatican, bénéficièrent de telles largesses administratives au lendemain de la capitulation allemande.


27 - Je ne puis mettre un terme à ce rapide survol du génocide des Tutsis du Rwanda sans évoquer la résolution 955 (adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 8 novembre 1994) qui instaura un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR.) Descendant direct du Tribunal pénal pur l’ex-Yougoslavie (créé le 23 mai 1993), ce tribunal fut institué afin de juger les responsables du génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire sur le sol du Rwanda. Bien qu’un nombre important de hauts responsables politiques Hutus directement impliqués dans le génocide aient été jugés par le TPIR, les crimes contre l’humanité imputables au Front patriotique rwandais ne furent pas évoqués. Et cela, en raison du refus opposé par le nouveau gouvernement rwandais issu de la victoire militaire du FPR. Vu sous un certain angle, on peut comprendre la position de ce gouvernement mais il n’en va pas de même sur le plan de l’équité juridique. Enfin, l’histoire jugera...


28 - Fille directe de la Charte de l’atlantique (signée conjointement le 14 août 1941 par Franklin Roosevelt et Winston Churchill, rappelons le), l’ONU entreprit de jeter les bases d’une nouvelle politique internationale afin de promouvoir la paix dans le monde. Auparavant, et à la suite de la Première guerre mondiale, la SDN (Société des Nations) fut créée en fonction du même objectif. Seulement, et notamment en raison de ses faiblesses intrinsèques, la SDN ne put s’opposer à la montée des nationalismes qui provoquèrent le deuxième conflit mondial. La question qui se pose maintenant est celle-ci : l’ONU aurait-elle fait mieux ? Aurait-elle eu la volonté politique et les moyens militaires de s’opposer au bellicisme de Hitler ? Rien ne semble moins sur ! Car, le propre des organisations internationales, surtout lorsqu’elles recherchent la paix, est de se heurter aux particularismes nationaux dont certains n’ont qu’une seule vocation : la guerre ! Or, pour s’opposer à la guerre, il n’existe qu’un moyen : la guerre ! C’est l’un des plus terribles paradoxes de la condition humaine, entendu sous l’angle géopolitique ! C’est ainsi que pour mettre un terme au génocide des Tutsis rwandais, il eut fallu que la MINUAR entre en guerre contre le gouvernement intérimaire rwandais. A l’époque, il n’existait aucun autre moyen. Seulement, le mandat attribué à la MINUAR excluait catégoriquement cette hypothèse. Alors, lorsque Mussolini envahit l’Ethiopie ou lorsque Hitler annexa l’Autriche et une partie des Sudètes, comment l’ONU aurait-elle réagi ? Comme au Rwanda ? C’est quasiment certain !


29 - Plus de soixante-dix ans après sa création, et en dépit de quelques succès régionaux, les résultats obtenus par l’ONU semblent paraître des plus mitigés. Par exemple, elle ne parvint pas à empêcher la Guerre Froide issue du rapport de force entre l’Est et l’Ouest. En effet, la détente internationale qui mit un terme à cette guerre ne peut être portée à son crédit mais seulement à celui des Etats-Unis et de l’URSS. Elle ne parvint pas non plus à s’interposer dans les relations conflictuelles entre l’URSS et ses démocraties populaires : crise hongroise de 1956 et tchécoslovaque en 1968. Elle échoua aussi en matière de décolonisation comme l’illustre le veto français opposé à son intervention en Algérie. De même en Afrique du Sud où elle ne parvint pas à faire respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (l’apartheid.) Durant le conflit du Kosovo (1998/1999) elle dut même s’effacer au profit de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) dont l’intervention en Serbie mit un terme à cette guerre intra-européenne.


30 - Pour comprendre cette impuissance, il faut se souvenir que, lors de sa fondation, l’ONU était essentiellement vassalisée par les Etats-Unis qui obtinrent, notamment, son aval lors de l’intervention militaire en Corée. Avec l’émergence des deux blocs rivaux (Est et Ouest), les USA furent contraints de partager cette prépondérance politique avec l’URSS. Dès lors, les deux superpuissances se neutralisèrent en recourant à leur droit de veto. D’un point de vue plus structurel, l’ONU est paralysée par le grand principe qu’elle s’est elle-même donnée par le truchement de l’article 2, paragraphe 7 de sa Charte qui, rappelons-le, n’autorise pas : « les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat. » Cette disposition juridique explique sa non-intervention dans des guerres civiles comme celles du Viêt-nam ou de l’Afghanistan. Seulement, si ce principe de non-ingérence préserve la souveraineté des Etats, il limite singulièrement le champ d’action de l’ONU qui, souvent, ne peut qu’assister, impuissante, aux tragédies humaines qui se déroulent devant ses yeux.


31 - Maintenant une question se pose : le monde devrait-il se débarrasser de l’ONU ? Certes, non ! Car, et en dépit de ses faiblesses, voire de ses incuries, elle est un lieu de rencontre, de dialogue, entre les Etats. Et puis, peut-on lui reprocher d’être portée par un idéal humaniste dont les objectifs sont exposés dans son préambule ? Voici son intitulé :


Nous, peuples des Nations Unies, sommes résolus :


◆ à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,

◆ à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

◆ à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,

◆ à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,


Et à ces fins :


◆ à pratiquer la tolérance à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage,

◆ à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationale,

◆ à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun,

◆ à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples,


Avons décidé d’associer nos efforts pour réaliser ces desseins :


◆ En conséquence, nos gouvernements respectifs, par l’intermédiaire de leurs représentants, réunis en la ville de San Francisco, et munis de pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, ont adopté la présente Charte des Nations Unies et établissent par les présentes une organisation internationale qui prendra le nom de Nations Unies.

Alors, idéal inaccessible ? Utopie ? Les hommes ne savent-ils, ne peuvent-ils, vivre en paix ? La concorde n’est-elle qu’un mythe ? Un concept vide ? Une vague hallucination ? En bref, peut-on espérer un monde plus juste ? Plus fraternel ? En résumé : un monde meilleur ? L’ONU a au moins un mérite : tenter de réaliser ce rêve...


32 - Non sans lui souhaiter bonne chance, quittons donc l’ONU pour évoquer un long conflit qui amena, à plusieurs reprises, le monde (et, conséquemment, l’Europe) au bord d’une troisième guerre mondiale : ”la guerre froide”. Essentiellement idéologique, cette confrontation (qui s’étendit de 1946 à 1991) opposa le libéralisme prôné par les Etats-Unis au collectivisme promulgué par l’URSS de Lénine, de Staline et, un peu plus tard, par la Chine de Mao Zedong. Toutefois, cette fracture idéologique ne surgit pas inopinément en 1946. Son origine, en effet, remonte à la révolution russe d’octobre 1917 qui porta Lénine aux rênes de l’Etat russe qui devint. le 30 décembre 1922 : ”l’URSS” (Union des Républiques Socialistes Soviétiques.) Inscrite dans la continuité du ”babouvisme” de Babeuf (1760-1797) et du ”marxisme” de Karl Marx (1818-1843), les conceptions politico-philosophiques de Lénine ne pouvaient être compatibles avec celles des grandes démocraties occidentales. Pour ne prendre qu’un seul exemple, demandons-nous comment l’indéniable totalitarisme (tant dans le domaine politique qu’économique) du monde communiste aurait-il pu cohabiter avec le capitalisme libéral et démocratique dont les Etats-Unis étaient les plus puissants prosélytes ? Comment la remise en cause de la propriété privée (base du collectivisme) aurait-elle pu coexister avec le cinquième amendement de la constitution américaine (25 septembre 1789) dont voici la fin : « Nulle propriété privée ne pourra être expropriée dans l’intérêt public sans une juste indemnité. » ? De fait, la confrontation Est-Ouest s’est inscrite dans un contexte idéologique visant à établir un leadership incontesté dans le monde et notamment en Europe. En d’autres termes, lequel des deux blocs pouvait-il s’imposer sans qu’il lui soit possible d’anéantir l’autre ? Toute l’histoire de la guerre froide reposa sur cette problématique dont l’issue aurait pu être mortelle si l’un des deux ”grands” n’avait eu la sagesse de s’arrêter avant que ne se déclenche le feu nucléaire comme ce fut, notamment, le cas lors de la guerre de Corée ou la crise des missiles de Cuba. En fait, la question à laquelle furent confrontés les deux grands fut celle-ci : comment ne pas aller trop loin ?


33 - Comme je l’ai précédemment évoqué, le partage de l’Europe en deux zones d’influence (l’une américaine et l’autre soviétique) fut décidé lors des conférences de Yalta (du 4 au 11 février 1945) et celle de Postdam (17 juillet 1945.) Fait d’une importance capitale, cette bipartition, entre l’Ouest et l’Est, ne fit qu’entériner une situation géopolitique instaurée par la guerre. Rappelons, en effet, qu’en dépit du pacte germano-soviétique (23 août 1939), l’Allemagne hitlérienne a envahit la partie Ouest de l’URSS (opération Barbarossa) à partir de la frontière commune issue de l’invasion conjointe de la Pologne par ces deux Etats. Rappelons également qu’au lendemain du désastre de Stalingrad (du 17 juillet 1942 au 2 février 1943) subi par la VIè armée du général Paulus et de la défaite allemande lors de la bataille de Koursk (du 3 juillet au 23 août 1943), les armées soviétiques n’ont cessé de progresser vers l’Ouest jusqu’à la prise de Berlin le 2 mai 1945. Berlin conquise, les armées soviétiques occupaient de facto les Etats situés en Europe de l’Est. Et, fort de ces importants succès militaires (au prix d’énormes pertes humaines, rappelons-le), Staline n’était guère enclin à ne pas exploiter, politiquement, cette opportunité géopolitique. S’ensuivit le partage de l’Allemagne (amputée de 25% de son territoire) en quatre zones d’occupation : trois (Etats-Unis, Royaume Uni et France) à l’Ouest et la quatrième (impartie à l’URSS) à l’Est. Future pomme de discorde entre les alliés, la ville de Berlin fut enclavée dans la zone soviétique. C’est ainsi, qu’au lendemain de leur collaboration dans la guerre contre le nazisme hitlérien, les alliés d’hier s’engagèrent dans un dangereux face à face qui, comme nous l’avons déjà noté, les conduisit au bord d’une confrontation directe qui aurait pu menacer la totalité de l’humanité.


34 - Sinon de jure, du moins de facto (sinon de droit, du moins de fait), l’URSS étendit considérablement sa zone d’influence. Cette extension territoriale lui offrit l’opportunité d’exporter son idéologie ”marxiste-Léniniste” qui, dès lors, entra dans une concurrence directe avec la conception capitaliste de l’économie mondiale prônée par la philosophie Anglo-Saxonne. Si l’on veut bien prendre en compte les enjeux, tant politiques, qu’économiques, issus de cette confrontation, on comprendra aisément qu’une bonne entente entre les deux blocs opposés ne pouvait relever que du vœu pieux. Politiquement, ce nouveau partage de l’Europe se traduisit par la rivalité entre deux doctrines : la Doctrine Truman et la Doctrine Jdanov. La première dénonça l’instauration de régimes communistes dans les pays occupés par l’armée rouge au mépris, d’ailleurs, des règles les plus élémentaires de la démocratie. C’est ainsi, qu’élaborée afin d’aider les peuples dits ”libres” à résister à la menace communiste en Europe, cette doctrine prit la forme d’un important soutien économique : le Plan Marshall. De son coté, l’URSS répliqua par la doctrine Jdanov qui promulgua le soutien de son pays à tous les mouvements révolutionnaires luttant contre la volonté hégémonique imputée aux Etats-Unis. Toujours en réponse à la Doctrine Truman et au Plan Marshall qui en découla, Staline décida d’instituer le ”Kominform” (1947-1956).

Note : Descendant du Komintern (créé le 2 mars 1919 et dissous en 1943 afin de ne pas froisser les alliés lors de la Seconde Guerre mondiale), la vocation politique du Kominform fut de réunir les principaux partis communistes européens sous l’égide de l’URSS.


L'Europe divisée en deux. 1945-1955.

35 - C’est le 5 mars 1946 que Winston Churchill résuma métaphoriquement la situation de l’Europe lors d’un discours prononcé à Fulton : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent. » De fait, campés de part et d’autre de ce rideau, le bloc de l’Ouest et celui de l’Est se regardaient en chiens de faïence. Certes ! L’Europe était en paix mais se retrouvait dans une situation dramatique tant humainement qu’économiquement. A cette époque, la misère est telle que les peuples européens sont prêts à se jeter dans les bras du communisme stalinien qui se présente comme le sauveur du continent. Inacceptable pour l’Occident, cette perspective devait être impérativement éradiquée ! C’est pourquoi la Doctrine Truman fut fondée sur l’endiguement (containment) du communisme d’autant plus que cette idéologie politico-économique était déjà fortement implantée en Europe orientale comme dans des pays tels que la France ou l’Italie. L’endiguement de la Doctrine Truman ne pouvant s’appuyer sur une initiative militaire, la seule voie qui lui restait était celle de l’économie. Or, comme le FMI (Fonds monétaire international créé en juillet 1944 lors de la Conférence de Bretton Woods) ne disposait pas de moyens suffisants, l’administration de Truman décida, en juillet 1947, la mise en place du Plan Marshall. Ce plan proposa à tous les pays européens une aide devant leur permettre de se reconstruire et, surtout, d’apaiser la faim des peuples concernés. En contre-partie, les Etats-Unis exigèrent des pays qui acceptaient cette aide d’acheter en priorité des produits américains. Cette exigence a été fortement critiquée. Mais, après tout, n’était-elle pas fondée ? En fait, et indépendamment des bienfaits du Plan Marshall, il est incontestable que les Etats-Unis poursuivaient plusieurs objectifs. En tout premier lieu (et comme je l’ai précédemment évoqué), il fallait absolument éviter que, désespérés par les difficultés auxquelles ils étaient confrontés, les peuples européens ne cèdent aux chants des sirènes communistes qui leur proposaient d’autres solutions économiques et sociales. Par ailleurs, le Plan Marshall servit également les intérêts américains dans la mesure où il favorisa le retour aux règles économiques du capitalisme, credo du modèle économique américain. Outre ces objectifs relevant de la politique extérieure des Etats-Unis, il en est un autre qui ne doit pas être négligé. En effet, l’obligation d’acheter des produits américains ne pouvait que favoriser les exportations de ce pays et donc soutenir sa production notamment industrielle. Enfin, et n’occultons surtout pas ce point, les Etats-Unis exploitèrent sans vergogne l’opportunité qui leur était offerte d’exporter en Europe leur culture : musique, cinéma, etc.


36 - Comme cela était prévisible le plan Marshall fut rejeté par l’URSS et, bien évidemment, par les pays du bloc de l’Est. A l’exception, cependant, de la Tchécoslovaquie qui, après avoir été favorable à ce plan, y renonça afin de ne pas indisposer l’URSS, son voisin immédiat et son libérateur. D’un point de vue géopolitique, ce rejet s’explique par la crainte stalinienne de compromettre le glacis de sécurité qu’il avait constitué afin de protéger l’URSS d’une éventuelle agression comparable à celle subie en 1941. En outre, la volonté affichée par les Etats-Unis d’imposer la libéralisation économique des pays bénéficiant du plan Marshall a probablement eu une certaine importance. Car, et il s’agit là de la principale pierre d’achoppement entre le capitalisme libéral et le collectivisme communiste, cette libéralisation économique opposait brutalement le libre-marché à une économie dirigée. Alors, que pouvons-nous penser du plan Marshall ? Fut-il une initiative désintéressée, humanitaire, envers un continent au bord du gouffre ? Ou, d’un point de vue plus pragmatique, une incarnation du cynisme politique dont Nicolas Machiavel, en son temps (1469-1527), a donné un lucide aperçu ? Indépendamment de ces questions sujettes à des débats sur lesquels je ne me pencherais pas ici, il est incontestable que l’aide américaine fut offerte à des conditions particulièrement avantageuses pour les pays qui en bénéficièrent. C’est ainsi que 85% de l’aide financière fut octroyée à titre gratuit ; les 15% restant étant convertis en prêts à longs termes. Outre les compensations précédemment évoquées, cette aide imposa à l’Europe occidentale l’élaboration d’une véritable communauté économique qui se traduisit, notamment, par la création d’un organisme européen : l’OECE ou : Organisation européenne de coopération économique (l’OECE sera remplacée par l’Organisation de coopération et de développement économique -OCDE- en 1961.) Politiquement, l’adhésion au plan Marshall par les pays d’Europe de l’Ouest marqua la fin de la collaboration politique des communistes avec les autres partis, notamment en France et en Italie. Au final, si le plan Marshall a contribué efficacement au redressement économique de nombreux pays, il a également renforcé la coupure entre les pays capitalistes et les pays communistes en Europe. Historiquement, cette coupure fut l’une des principales génitrices de la guerre froide. En outre, notons que pour les générations futures, le plan Marshall devint la référence en matière de soutien économique.


37 - Liste des seize pays qui acceptèrent le plan Marshall : Belgique, Autriche, Danemark, Irlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Islande, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse, Turquie. A ces quinze pays se joignit l’Allemagne fédérale (Allemagne de l’Ouest) au lendemain de sa naissance en 1949.


38 - Note importante : Nous venons d’entrevoir le rôle prépondérant joué par le communisme dans la guerre froide. Mais avant de poursuivre, marquons une pause et attardons-nous quelques instants sur sa filiation avec la Révolution française de 1789. Cette révolution fut une révolution de ”classe” ; celle de la bourgeoisie contre celle représentée par l’aristocratie détentrice, par le truchement des monarchies, de tous les pouvoirs, tant politiques qu’économiques (en réalité, les choses furent beaucoup plus complexes. Nonobstant, il vaut mieux, ici, nous cantonner aux généralités.) Sous une monarchie, il n’existe pas de citoyens mais seulement des sujets lesquels, par conséquent, n’ont qu’à obéir. Seulement, écrivit Rousseau : « Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug, et qu’il le secoue, il fait encore mieux » (Du contrat social, p. 68.) C’est précisément ce que firent les révolutionnaires de 1789. Et la convocation par Louis XVI des Etats généraux (en mai 1789) ainsi que les Cahiers de doléances qui les ont précédés n’ont pu endiguer l’immense vague qui allait engloutir la monarchie française et compromettre, par ricochet, celles de l’Europe entière.


En totale assonance avec la Déclaration des droits de l’homme, rédigée en 1789, la Révolution française marqua la fin de l’ancien régime et le début d’une ère nouvelle reposant sur une définition révolutionnaire de la souveraineté qui « réside essentiellement dans la nation » (Art. 3) ; dans l’égalité de naissance : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (Art. 1) et dans une définition universelle de la loi : « La loi doit être la même pour tous soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » (Art.6.) A l’instar de ce qui va se produire avec l’émergence du communisme, qui s’opposa à la bourgeoisie, la Révolution française s’est dressée contre la classe dominante de la société (la noblesse) et a fini par la mettre à terre. Analysée sous cet angle, elle a inauguré la base politique du marxisme : « la lutte des classes. » Seulement, le système politique combattu par la Révolution française étant multi-séculaire, il reposait sur une base historique extrêmement puissante et était donc peu enclin à s’effacer devant son ennemi mortel : le peuple. Par ailleurs, ce système régnait en maître sur la quasi-totalité de l’Europe. Aussi, lorsqu’en novembre 1792 (à la suite de la bataille de Valmy) la Convention déclara qu’elle « accordera fraternité et secours à tous les peuples qui veulent reconquérir leur liberté », les monarchies européennes considérèrent cette déclaration comme une véritable déclaration de guerre. De fait, il est incontestable que la Révolution française se voulut un modèle pour l’Europe tout comme le communisme se voudra le parangon de ses conceptions socio-politiques, notamment dans les pays de l’Est de ce continent ainsi qu’en Asie. De leur coté, et cela jusqu’à la fin du Premier empire, les révolutionnaires de 1789, verront se dresser contre eux sept coalitions militaires européennes. La dernière, d’ailleurs, (en 1815) finira par provoquer la restauration de l’ancien régime en France (suite à la montée sur le trône du frère de Louis XVI : Louis XVIII) et le retour triomphal des monarchies européennes.


39 - Comme le suggère les quelques aperçus évoqués à l’instant, la lutte des classes semble avoir été l’un des fondements communs de la Révolution française et du communisme. Ceci étant, il est préférable de se défier d’un amalgame trop hâtif car, historiquement, la notion ”lutte des classes” émana de la pensée de Karl Marx (1818-1883) notamment exprimée dans le ”Manifeste du Parti communiste”. Ce texte décrit une situation où les classes sociales (bourgeoisie et prolétariat) s’opposent, parfois violemment, en raison de l’exploitation de la seconde par la première qui détient le capital. L’appauvrissement croissant qui résulte de cette exploitation provoque une lutte qui est le seul moyen dont dispose la classe opprimée pour s’émanciper (notamment, politiquement) et améliorer sa situation économique. Par conséquent, évoquer la Révolution française en recourant à la notion de lutte des classes s’apparente, et à juste titre, à un anachronisme. C’est pourquoi j’évoque cette notion dans une acception beaucoup plus extensive. Pour moi, donc, elle désigne l’ensemble des conflits économiques et politiques qui opposent des classes sociales ayant des intérêts économiques divergents.


40 - La révolution survenue en Russie durant le mois d’octobre 1917 généra ce que l’on peut appeler : ”le communisme d’Etat”. Pour la première fois dans le monde (et, par conséquent, en Europe), le communisme eut l’opportunité de quitter ”l’île d’Utopie” de Thomas More (1478-1535) pour affronter les réalités du monde. Seulement, il ne s’agissait pas d’une simple révolution de palais mais d’un bouleversement d’une ampleur telle qu’il ne pouvait que se heurter frontalement à un système politico-économique rompu aux aléas du temps. Alors, la question qui se posa fut celle-ci : les thèses marxistes, réinterprétées par Lénine, étaient-elles en mesure de s’imposer face à l’hostilité de leur plus puissant ennemi : les Etats-Unis ? Toute l’histoire de l’après guerre en Europe se résuma à cette épineuse question. A l’instar de la Révolution française, la révolution ”bolchevique” confronta deux classes sociales fortement antagonistes : celle représentée par l’association de l’aristocratie russe et de la bourgeoisie à celle des ”manants”, c’est à dire : le peuple dont le prolétariat était le fer de lance. Seulement, on ne dépouille pas les riches aussi facilement. C’est pourquoi, sans doute, Lénine, dans son livre : ”l’Etat et la Révolution”, théorisa le passage d’un Etat bourgeois à un Etat prolétarien qui, après une phase de dictature du prolétariat, devait ultérieurement disparaître au profit d’un Etat véritablement communiste. La base théorique de ce processus fut, d’évidence marxiste car, pour Marx, le moteur de l’histoire était précisément la lutte des classes (d’où, d’ailleurs, et avec les réserves évoquées précédemment, le lien que l’on peut établir avec la Révolution française.) Selon cette perspective éminemment politique, c’est parce qu’il y a lutte entre les prolétaires et les bourgeois que les prolétaires doivent interdire aux bourgeois d’exercer le pouvoir et, par-là même, supprimer l’exploitation économique qu’ils imposent aux dominés. D’où : la disparition des classes sociales et, corrélativement, l’abolition de la propriété privée. Sur un plan strictement économique, le marxisme prône la destruction du capitalisme et s’oppose, par conséquent, au libéralisme et à l’économie de marché. Il en découle que, dans les régimes communistes, la propriété collective des moyens de production se traduit par une économie étatisée, dirigiste et planifiée. (Abstraction faite du contexte industriel, nous retrouvons, ici, une lointaine réminiscence de la ”Cité idéale” définie par Platon (427/347 av. J.C.) dans son célèbre texte : la ”République”. Cinq siècles plus tard, cette notion fut reprise par le stoïcien Sénèque (4 av. J.C./65) qui posa les bases de l’évergétisme romain (générosité des riches envers les pauvres) : « Le bien commun est le fait du sage » ou : « L’homme est un animal social né pour le bien commun. » Notons, au passage, l’antagonisme de ces réflexions avec celle de Thomas Hobbes –1588/1679- : « L’homme est un loup pour l’homme... »)


41 - « Le communisme est un bel idéal. Que les communistes s’organisent dans leurs communes et phalanstères (groupes qui vivent en communauté), qu’ils affichent leur bonheur d’y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des milliards de gens (...) Ce qu’il faut combattre n’est pas le communisme, ni aucune autre idéologie, mais la traduction politique de cette idéologie. (Christian Michel) » Sans doute la plus modérée parmi celles que j’ai eu l’opportunité de consulter, cette citation résume assez clairement la dramaturgie dans laquelle baigna (et baigne toujours, d’ailleurs) le communisme. En tant qu’idée, si l’on peut le résumer ainsi, le communisme est un élan généreux vers le bonheur de tous les hommes. Seulement, et à l’encontre de son idéal, que l’on peut qualifier d’humaniste, le communisme a été trahi par les despotismes qui s’en sont emparés. Comme l’a très bien souligné Platon, la première préoccupation d’un despote est de faire taire ses opposants. D’où, d’ailleurs, les camps de concentration tels que le Goulag, en URSS, le laogai, en Chine ou, encore, le kwanliso dans la Corée du Nord. D’où, aussi, le nombre effarant de victimes directes du communisme : 48 millions en URSS ; 80 millions dans la Chine de Mao Zedong. Alors, et sans tomber dans l’excès auquel s’est livré Jean François Revel (« Le communisme c’est le nazisme, le mensonge en plus... ») qu’elle a été la réalité politique concrète du communisme ? Qu’en a-t-il été de l’immense espérance qu’il a suscitée auprès des peuples, notamment européens ? Par ailleurs, comment expliquer l’injustifiable : son déni de la liberté ? Ne peut-il donc exister un communisme librement consenti ? Sa faillite n’est-elle due qu’aux dictateurs qui l’ont promulgué ou, plus désespérant encore, à sa rupture avec les grands idéaux de l’humanité ? Toutes ces questions donnent le vertige et expliquent, pour une grande part, les interminables débats qui n’ont cessé de diviser les communistes eux-mêmes.


42 - Refermons cette longue parenthèse et revenons à notre propos initial. Nous nous étions penchés sur le Plan Marshall qui, rappelons-le, favorisa le redressement économique de l’Europe. Nous avions également noté que l’URSS et ses pays satellites de l’Europe de l’Est avaient rejeté ce plan à l’exception notable de la Tchécoslovaquie laquelle, cependant finit par le rejeter à son tour afin de ne pas indisposer l’URSS. Seulement, de tous les pays d’Europe libérés des nazis et occupés par les armées soviétiques, la Tchécoslovaquie était le seul encore doté d’une tradition démocratique. Toutefois, elle comportait un parti communiste puissant qui avait même obtenu 38% des suffrages aux élections de 1946 et occupait donc un rang important au sein du gouvernement. Les choses auraient pu en rester là, et la Tchécoslovaquie aurait pu poursuivre sans encombre son chemin démocratique. Il n’en fut rien car cette démocratie, somme toute fragile, fut sapée par l’activisme pro-stalinien des militants communistes. Ne nous attardons pas sur les modalités des manœuvres dilatoires, plus ou moins légales, qui conduisirent les communistes au pouvoir. Au final, ce fut chose faite au lendemain d’élections (sur liste unique...) qui accréditèrent 90% des suffrages aux communistes et qui portèrent Klement Gottwald (prosélyte zélé du Komintern) à la présidence de la République tchécoslovaque le 14 juin 1948. Suite, d’ailleurs, à la démission d’Edvard Benes. Au terme de ce que l’on a appelé ce véritable coup d’Etat ; ”coup de Prague”, la Tchécoslovaquie s’enfonça inexorablement dans un obscurantisme qui perdura quarante ans. A l’exception, notons-le, du ”printemps de Prague” survenu en 1968. Pour l’Ouest, ce coup de Prague fut considéré comme un premier pas vers un troisième conflit mondial. Mais, par bonheur pour les hommes et bien que Staline ne dispose pas encore de l’arme atomique (il dut attendre pour cela le mois d’août 1949), il n’en fut rien. Toutefois la prise du pouvoir par les communistes dans un pays considéré comme un bastion de la démocratie accéléra le regroupement des pays européens non-communistes au sein de l’OTAN. Initiative, à la fois politique et militaire, qui marqua une nouvelle étape importante dans la genèse de la guerre froide.


43 - Nous sommes toujours en 1948 lorsque survient une crise majeure eu centre de l’Europe : le ”blocus de Berlin”. Pour comprendre l’origine de cette crise qui, une nouvelle fois, conduisit l’Ouest et l’Est au bord d’un conflit mondial, il faut se souvenir des dispositions prises par les alliés au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. En effet, et conformément aux décisions arrêtées lors de la conférence de Postdam (17 juillet/2 août 1945), l’Allemagne a été divisée en quatre zones d’occupation. L’Ouest de l’Allemagne fut réservé aux américains, anglais et français tandis que l’Est fut octroyé à l’URSS. Jusque là, si l’on peut dire, tout allait à peu près bien entre l’Ouest et l’Est. Seulement, il subsistait une pierre d’achoppement de taille : le sort réservé à Berlin ! En effet, l’ancienne capitale de la défunte Allemagne (politiquement) était enclavée dans la partie occupée par l’URSS sans aucune liaison naturelle, terrestre ou fluviale, avec les zones occidentales. En outre, et à l’instar de la totalité du pays, Berlin fut également divisée en quatre zones dont trois furent imparties aux alliés de l’Ouest et la quatrième à l’URSS. Nous sommes bien évidemment en pleine guerre froide et, dans ce contexte tendu, l’objectif des soviétiques était d’annexer la totalité de la ville en chassant, au préalable, les Occidentaux qui s’y trouvaient. (A plus long terme, ils espéraient que la totalité de l’Allemagne passe sous contrôle communiste ou, a minima, qu’elle devienne un Etat neutre démilitarisé ce qui aurait repoussé la menace occidentale plus à l’Ouest.) Indépendamment de cette arrière pensée géopolitique, une réforme monétaire mise en place par les Occidentaux aggrava très sensiblement les tensions qui s’exacerbaient déjà avec l’URSS. L’aspect le plus spectaculaire de cette réforme fut le remplacement du Reichsmark par une monnaie nouvelle : le Deutsche Mark dans les trois zones contrôlées par l’Ouest. Dans un deuxième temps, il fut décidé d’étendre cette réforme à la totalité de la ville de Berlin. Confrontés au refus catégorique des Soviétiques, les Occidentaux prirent la décision de n’appliquer cette mesure qu’aux secteurs de l’ancienne capitale du Reich qu’ils contrôlaient. En réaction, les Soviétiques annoncèrent, le 22 juin, leur propre réforme monétaire applicable dans leur zone d’occupation qui se concrétisa par la mise en circulation du mark est-allemand (Ostmark.) Dès lors, deux monnaies différentes circulèrent dans Berlin qui, de facto, fut divisée en deux zones. Face à cette détermination, les Soviétiques décidèrent, alors, d’instaurer, le 24 juin 1948, un blocus qui se traduisit par la fermeture des passages, négociés auparavant. reliant Berlin et les zones occidentales de l’Allemagne de l’Ouest, Par ce coup de force et la pénurie (tant en nourriture qu’en charbon) qui en résulta, Staline espérait le ralliement au communisme des Berlinois de l’Est Il n’en fut rien car ces Berlinois avaient en mémoire les exactions et les privations subies lors de la bataille de Berlin en avril 1945. Ne pouvant s’opposer militairement à ce blocus, les Occidentaux ripostèrent, dans un premier temps, en instaurant un contre-blocus : toutes les livraisons de marchandises vers l’Est de Berlin furent prohibées. Cette interdiction pénalisa fortement cette zone qui, notamment, manquait cruellement de charbon.


44 - Ceci étant la position des Occidentaux était des plus délicate : comment, en effet, assurer la survie des 2 millions de Berlinois qui vivaient dans leurs zones tout en évitant que le moindre incident armé ne dégénère en une spirale immaîtrisable pouvant conduire à une guerre à l’issue incertaine avec l’URSS ? En d’autres termes, les Occidentaux devaient-ils rester à Berlin ou quitter la ville en l’abandonnant à Staline ? En raison d’un prévisible désastre politique, les Occidentaux décidèrent de ne pas quitter leurs zones berlinoises tout en assurant la survie de ses habitants. C’est ainsi, et en dépit des risques d’incidents militaires encourus, que fut décidé l’instauration d’un pont aérien. Indépendamment des retombées humanitaires ressenties par les Berlinois de l’Ouest, cette spectaculaire initiative présentait un autre avantage, politique celui-ci : montrer aux pays européens la détermination des Occidentaux à ne pas céder aux menaces expansionnistes de Staline et, par delà sa personne, du communisme. En réalité, le pont aérien préexistait déjà mais avec une bien moindre ampleur. De fait, les Occidentaux avaient anticipé une crise avec Moscou à la suite des différents monétaires précédemment évoqués. C’est ainsi que le pont aérien mis en place à partir du 24 juin 1948 ne fut que l’extension d’un dispositif préexistant. Il fallait, cependant que le tonnage aéroporté soit suffisant. Il le fut grâce à la mobilisation des trois puissances occidentales : USA, Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, la France. Impuissants face à l’incontestable succès de ce pont aérien et ne pouvant se résoudre à l’interrompre par la force, les Soviétiques finirent pas céder en levant le blocus de Berlin le 12 mai 1949. Par précaution, le pont aérien fut maintenu jusqu’au 30 septembre. Il a coûté la vie à 74 participants à la suite d’accidents et d’une collision en vol entre un avion de combat soviétique et un appareil de transport britannique.


45 - Parmi les conséquences politiques de ce blocus il en est une qui aura d’importantes retombées ultérieures. C’est en effet grâce à ce coup de force que Berlin-Ouest deviendra un symbole puissant de liberté pour les Occidentaux. A l’appui de cette thèse, remémorons-nous un extrait du discours prononcé à Berlin-Ouest par le président américain J.F. Kennedy le 26 juin 1963 : « Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont des citoyens de Berlin. Par conséquent, en tant qu’homme libre, je suis fier de prononcer ces mots : Ich bin ein Berliner ! (”Je suis un Berlinois !”) » Dès lors, les Berlinois ne seront plus perçus comme des nazis mais comme des victimes de la menace soviétique. D’une manière plus générale c’est la perception globale de l’Allemagne de l’Ouest qui va changer.


46 - Considéré sous un certain angle, et assez paradoxalement, on peut considérer que Staline a rendu un grand service à l’Allemagne post-nazie. Il ne faut en effet pas oublier que ce sont les Allemands qui ont porté Hitler au pouvoir en 1933 et que la majorité d’entre eux l’a soutenu en dépit des dévastations et les crimes commis contre l’humanité. Il ne faut pas oublier que ce sont des Allemands qui ont exterminé des millions de juifs dans les camps d’Auschwitz, Buchenwald, Ravensbrück et tant d’autres. Il ne faut pas oublier que ce sont les Allemands qui ont mis l’Europe et l’Ouest de l’URSS à feu et à sang en n’hésitant pas à anéantir des centaines de milliers de civils. C’était l’Allemagne de l’eugénisme, de l’antisémitisme, de l’espace vital hitlérien, l’Allemagne de la Shoah, l’Allemagne de la haine ! Grâce à Staline et à sa politique expansionniste, l’Allemagne a retrouvé une respectabilité politique, une sorte de virginité historique (qui se soldera même, et en dépit de l’opposition de la France, par son réarmement à partir de 1950.) Au final, l’appui des Occidentaux a permis à ce pays criminel de retrouver la respectabilité d’une grande puissance !


Note : L’extermination de 6 millions de Juifs européens est la pire abomination commise par les nazis. C’est à Wannsee que, dès le 20 janvier 1942, une poignée de dignitaires nazis planifièrent la dernière phase du génocide des Juifs : la ”solution finale” qui conduisit des millions d’êtres humains dans les chambres à gaz. Surtout, vous, jeune lectrice, jeune lecteur, et bien que vous ne l’ayez pas vécu, n’oubliez jamais cette monstruosité qui a terni à jamais ce que l’on appelle : l’humanité. Gardez aussi en mémoire cette profonde réflexion de Winston Churchill : « Un peuple qui oublie son histoire est condamné à la revivre. »


47 - Pour les Occidentaux la priorité absolue était de faire barrage au communisme et cela, quel qu’en soit le prix philosophique et politique. Or, l’ultime rempart offert à l’Occident pour contrer le communisme était, sans conteste, l’Allemagne de l’Ouest. Si elle tombait entre les mains de Staline, la France serait dès lors le dernier pays encore libre avant d’atteindre l’Océan Atlantique. Cette problématique, éminemment géopolitique, explique, en grande partie, la résurrection de l’Allemagne et son retour dans le concert des grandes nations. Ce processus débuta le 2 décembre 1946 avec la décision conjointe des Britanniques et des Américains de fusionner leur zone d’occupation respective. Avec l’adjonction de la zone française en 1948, un nouveau pas sera franchi vers l’unification de l’Allemagne de l’Ouest. Du 20 avril au 2 juin 1948, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France se réunissent à Londres pour trouver un accord susceptible de régler la question restée pendante de l’Allemagne de l’Ouest : que fallait-il en faire ? Conformément à leur souhait de favoriser le redressement économique, politique et, plus tard, militaire de ce futur pays, les Occidentaux décidèrent de le doter d’une base politico-juridique solide. Pour ce faire, ils convoquèrent une assemblée constituante, le conseil parlementaire allemand, dont les participants furent choisis par les parlementaires des Etats fédéraux : les ”Länder”. C’est le 1er septembre 1948 que le conseil parlementaire commença ses travaux. Konrad Adenauer, le maire démocrate chrétien de Cologne et ancien résistant au régime nazi, fut élu à sa présidence. La ”loi fondamentale” (nouvelle constitution de l’Allemagne de l’Ouest), élaborée par le conseil, fut promulguée le 23 mai 1949. Le 15 septembre de la même année, Adenauer sera élu premier chancelier de la nouvelle République fédérale d’Allemagne (RFA), poste qu’il occupera jusqu’en 1963. Dès lors, l’Allemagne de l’Ouest devint un Etat à par entière dont la capitale choisie fut : Bonn. Cependant, la RFA ne disposera de sa pleine souveraineté qu’à partir du 5 mai 1955, date qui mit définitivement fin au statut de son occupation par les trois puissances occidentales. Enfin en 1990, après la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) la réunification de l’Allemagne de l’Ouest avec celle de l’Est donnera naissance au pays tel que nous le connaissons aujourd’hui. De son coté, Berlin-Ouest devient un Land mais resta administrée par les alliés qui, par-là même, voulaient montrer que la ville faisait bien partie de la RFA.

Note : Premier chancelier fédéral de la République fédérale d’Allemagne, Konrad Adenauer (opposant déterminé au nazisme) fut à l’origine du redressement de son pays. Atlantiste convaincu, il est l’un des promoteurs, avec le général de Gaulle, de la réconciliation franco-allemande. Il est également considéré comme l’un des pères fondateurs de la construction européenne.


48 - La riposte soviétique ne se fit pas attendre. C’est en effet le 7 octobre 1949 que le Parti socialiste unifié d’Allemagne, fervent allié de l’URSS, créa la République démocratique allemande à partir de la zone occupée par l’Armée rouge. La capitale choisie par ce nouvel Etat fut Berlin-Est. La création de la RDA officialisa la division de l’Allemagne et de Berlin en deux territoires distincts ayant chacun leurs propres systèmes économique et monétaire. L’instauration de ces deux Etats fut la conséquence directe de l’affrontement idéologique qui ne cessait de s’accroître entre l’Ouest et l’Est et dont le territoire allemand fut le principal enjeu en Europe. Seulement, dans le monde communiste, ”l’enfer est pavé de bonnes intentions”. Aussi, et malgré la modicité des loyers, la gratuité des soins de santé, des congés de maternité et des bourses d’étude, la vie quotidienne des Allemands de l’Est était une perpétuelle source de frustrations alimentée par l’échec de la planification socialiste. Facteur aggravant, s’il en est, le contrôle permanent de la population exercé par le régime favorisa un sentiment de peur notamment généré par la Stasi (fer de lance répressif de la sécurité d’Etat) calqué sur le NKVD soviétique. Dans ce système, pour le moins délétère, les opinions non-conformes aux attentes du régime étaient systématiquement traquées ; les moyens de communication, méthodiquement contrôlés ; les personnes suspectées d’idées anti-gouvernementales, espionnées de jour comme de nuit. Bref ! En matière de libertés publiques, on ne pouvait que très difficilement faire mieux... C’est d’ailleurs ce que pensèrent beaucoup de Berlinois de l’Est qui rejoignirent Berlin-Ouest ce qui provoquera l’édification du Mur de Berlin dans la nuit du 12 au 13 août 1961.


49 - Le ”coup de Prague”, le ”blocus de Berlin” précédemment évoqués ont convaincu, si besoin était, les Occidentaux de la réalité d’une menace militaire émanant de l’URSS. Dès lors, la question de la sécurité des pays de l’Europe de l’Ouest (et du Sud) devint des plus cruciale : que pouvait-on faire pour assurer cette sécurité face à l’inquiétant appétit de ”l’ours soviétique” ? C’est le 4 avril 1949 que fut signé le traité établissant le Conseil de l’Atlantique nord (CAN) dont la mission fut de mettre en place l’organisation nécessaire à son application. Cet embryon d’alliance, somme toute formelle, va changer de nature au lendemain du choc provoqué par la guerre de Corée (25 juin 1950-27 juillet 1953.) En effet, cette guerre mit en scène un immense Etat devenu communiste le 1er octobre 1949 : la Chine. Bien sur, si l’affrontement entre les forces de l’ONU, appuyées par la forte implication des USA, et la Chine se déroula en Asie, et non en Europe, il n’en fut pas moins direct. Car, et dès lors, preuve était faite qu’un Etat communiste était capable d’affronter militairement des pays occidentaux. Cet évènement majeur conduisit le CAN à créer une organisation militaire intégrée permanente. ”L’Organisation du traité de l’Atlantique nord” (l’OTAN) était née. (Pour note, la ”France gaullienne” a décidé en 1966 de quitter l’organisation militaire intégrée tout en restant membre de l’Alliance atlantique. Elle est redevenue membre à part entière de l’OTAN en 2008 sous le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy.)

Note 1 : Les 12 pays fondateurs de l’OTAN (le 4 avril 1949) sont les suivants : Etats-Unis, Canada, Belgique, Danemark, France, Pats-Bas, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Royaume-Uni et Portugal. La Grèce et la Turquie ont ensuite intégré l’organisation en 1952, puis la République fédérale d’Allemagne en 1955, suivi de l’Espagne, en 1982. Les premiers pays communistes à rejoindre l’OTAN, en 1999, furent la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. En 2004, ce sera le tour de 7 nouveaux pays : Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Slovaquie, Estonie, Lettonie et Lituanie. En 2009, ce fut le tour de l’Albanie et de la Croatie. Pour finir, le Monténégro fut le dernier pays à devenir membre de l’Alliance en 2017.

Note 2 : Essentiellement défensifs, les objectifs de l’OTAN peuvent se résumer dans son célèbre article 5 dont voici l’intitulé : « Les parties conviennent qu’une attaque contre l’une ou plusieurs d’entre elles, survenant en Europe ou Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique-Nord. »


50 - Rappelons que cette alliance politico-militaire s’inscrivit dans un double contexte. D’une part faire face à la menace soviétique, notamment en Europe, et, corrélativement, régler l’épineux problème de la remilitarisation de l’Allemagne de l’Ouest (celle de l’Allemagne de l’Est étant de facto en raison de son occupation, à la fois politique et militaire, par l’armée rouge.) Certes ! L’Allemagne de l’Ouest était également occupée mais la mission des troupes présentes sur son territoire évoluera en fonction des contraintes imposées par la guerre froide. En effet, il ne s’agissait plus de la simple occupation, décidée lors des Conférences de Yalta et de Postdam, mais de s’opposer, le cas échéant, à une invasion programmée par l’URSS. Confrontés à cette problématique, les Occidentaux, et surtout les Américains, considérèrent que l’Allemagne de l’Ouest, la première concernée, devait être directement impliquée. Et cette obligation dépendait nécessairement de sa remilitarisation même si celle-ci devait être soumise à un certain nombre de contraintes. Aussi, et dès 1950, les Américains exigèrent que la RFA contribuât à sa propre défense et, donc, rejoigne l’OTAN. Cependant, la France, craignant la résurgence d’un puissant Etat allemand susceptible de dominer l’Europe, s’opposa vigoureusement à son réarmement. Seulement, pressée par les Américains, la France infléchit sa politique et prit l’initiative de créer une Communauté européenne de défense, la CED, dont la RFA serait membre En fait, pour les Français, les choses étaient simples : qu’il faille autoriser l’Allemagne à se remilitariser, soit ! Mais à la condition expresse que ses troupes soient drastiquement encadrées. (En fait, les Français n’avaient pas oublié les terribles conséquences du réarmement de l’Allemagne décrété par Hitler à partir de 1933.) Toutefois, deux années d’âpres négociations furent nécessaires pour qu’un accord soit trouvé. Accord qui, finalement, sera rejeté par le Parlement français en août 1954. Ce rejet du traité instituant la CED entraîna aussitôt l’abandon du projet de Communauté politique européenne dont il était le corollaire institutionnel. Venant d’un pays prosélyte de la cause européenne, ce refus déclencha une consternation générale dans toute l’Europe et discrédita très sérieusement la France. Cependant, l’adhésion de la RFA à l’OTAN étant devenue inévitable, elle s’effectua en mai 1955. Elle s’assortit d’un plan de réarmement qui se concrétisa par la création de la Bundeswehr qui, forte de 495000 hommes, devint la plus importante des forces conventionnelles de l’OTAN sur le front d’Europe centrale. La réaction de l’Union soviétique fut immédiate : elle opposa à l’OTAN le ”pacte de Varsovie”.


51 - La guerre froide a mis en lumière la fragilité, à la fois politique et militaire, de l’Europe ainsi que l’atténuation de l’ambiguïté politique des Etats-Unis envers notre vieux continent. Cette ambiguïté (qui vient de rebondir avec l’élection de Donald Trump) est due à la tradition isolationniste ancrée dans ce pays depuis 1796. C’est en effet durant cette année (20 ans après la déclaration d’indépendance des Etats-Unis) que le président George Washington précisa clairement la position de son pays en matière de politique internationale (cette vision sera reprise et développée en 1823 par la ”doctrine Monroe”) : « La meilleure solution pour entretenir des relations avec des nations étrangères, c’est détendre des relations commerciales et d’avoir le moins de relations politiques possibles. » En bref, les Etats-Unis voulaient bien commercer avec les autres pays mais ne surtout pas se mêler de leurs affaires. Cependant, la politique belliqueuse de l’Allemagne de Guillaume II envers les Etats-Unis (« guerre sous-marine » à outrance et la tentative d’établir une alliance avec le Mexique) conduira le président Wilson à intervenir militairement (en 1917) dans la guerre qui faisait rage en Europe. Rappelons que cette intervention militaire a apporté à l’Entente (France, Royaume-Uni et Russie impériale) une supériorité numérique qui lui a assuré la victoire. Toutefois, cet accroc à la politique isolationniste des Etats-Unis sera de courte durée. Car, en 1920, l’élection du Républicain Harding, et conformément à ses promesses de campagne, prôna le désengagement des Etats-Unis et le retour à leur isolationnisme traditionnel. Il faudra donc attendre l’attaque nippone contre Pearl Harbor pour que les Etats-Unis interviennent directement dans le deuxième conflit mondial. Ces deux interventions ont montré que l’aide militaire américaine était devenue indispensable pour notamment régler des problèmes intra-européens ce qui impliqua une certaine mise sous tutelle (notamment, économique) de ce continent par son allié d’outre-Atlantique. Cet allié, d’ailleurs, tournera résolument le dos à sa politique isolationniste en considérant que toute avancée communiste devait être contrée où qu’elle se produise.


52 - Sans avoir été une guerre ayant opposé concrètement des armées (du moins en Europe), la guerre froide a tout de même contraint les Occidentaux à créer l’OTAN. Seulement, cette organisation politico-militaire, censée protéger l’Europe de l’Ouest, aurait été, stratégiquement, bien dépourvue sans le leadership américain concrétisé, notamment, par le déploiement de son ”parapluie nucléaire”. Cependant, l’avantage américain en matière nucléaire (avéré depuis le bombardement d’Hiroshima le 6 août 1945 et celui de Nagasaki, le 9 août de la même année) sera de courte durée car c’est le 29 août 1949 que l’URSS se dotera à son tour de la bombe atomique. (Cette prouesse technique aurait été facilitée par l’espionnage du projet secret ”Manhattan” qui permit aux USA d’acquérir l’arme nucléaire.) Dès lors, les deux blocs se neutralisèrent bien que le général MacArthur pressa le président Harry S. Truman de recourir à l’arme atomique contre la Chine communiste lors de la guerre de Corée. Mais, et heureusement pour la paix du monde, le président des Etats-Unis eut la sagesse de se cantonner dans la guerre conventionnelle qu’il menait, sous mandat de l’ONU, contre la Corée du Nord. (D’un point de vue plus pragmatique, peut-être redouta-t-il aussi une riposte équivalente de l’URSS.) Sans trop trahir l’histoire, on peut supposer que la détention de l’arme atomique par les Etats-Unis et l’URSS fut suffisamment dissuasive pour préserver l’Europe d’un nouvel embrasement. En effet, Staline savait très bien qu’envahir l’Europe de l’Ouest n’aurait pas manqué d’exposer l’URSS à de terribles représailles. C’est pourquoi, pensa-t-il, sans doute, qu’il était moins risqué, et donc préférable, de s’en tenir au statu quo établi entre les blocs de l’Est et de l’Ouest au sein du vieux continent. Concernant plus précisément l’OTAN, la dissuasion nucléaire fut l’axe majeur de sa politique en Europe. Cette dissuasion s’érigea en rempart contre les importantes forces conventionnelles mises en place par le bloc de l’Est. Deux pierres vinrent se joindre et compliquer plus encore, cette problématique déjà complexe : l’acquisition, le 3 octobre 1952, de la bombe atomique par le Royaume-Uni suivi par la France le 13 février 1960. Dès lors, deux pays de l’Europe de l’Ouest détenaient, en propre, une part non négligeable de la dissuasion nucléaire ce qui renforça, au profit de l’Ouest, ce que l’on a appelé : ”l’équilibre de la terreur”.

Note : Pour le général De Gaulle, l’acquisition de la bombe atomique par la France (sans l’aide des Etats-Unis ou du Royaume Uni) visait à remettre en question la division du monde en deux blocs rivaux et, par conséquent, contester l’hégémonie mondiale exercée par l’URSS et les Etats-Unis. Par ailleurs, il considérait la possession de cette arme comme une garantie de la souveraineté et de l’indépendance de la France qui, dès lors, pouvait prétendre intégrer le concert des grandes nations. Aujourd’hui, compte tenu de la prolifération de l’arme atomique et de la primauté de l’économie sur le monde, ce critère ne prévaut plus.


Pacte de Varsovie.

53 - C’est le 6 mai 1955 que le chancelier Konrad Adenauer signe à Paris l’accession officielle de la République fédérale d’Allemagne (RFA) à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN.) Et, comme je l’ai précédemment souligné, cette adhésion fut indissociablement liée au réarmement de l’Allemagne. Pour le successeur de Staline, Nikita Khrouchtchev (Président du Conseil des ministres d’URSS du 27 mars 1958 au 15 octobre 1964), cet important renforcement de l’OTAN ne pouvait rester lettre morte. Aussi, convenait-il, selon le dirigeant soviétique, de réagir afin de limiter le plus efficacement possible les conséquences géopolitiques imputables à cette adhésion allemande. Pour ce faire, il suscita une alliance militaire réunissant les pays d’Europe de l’Est avec l’URSS créant ainsi un vaste ensemble économique, politique et militaire. Ainsi fut fondé, le 14 mai 1955, le ”Pacte de Varsovie”. Comme cela était la règle sous le règne de Staline, la politique extérieure conduite par Nikita Khrouchtchev n’était pas dépourvue d’arrières pensés. Si, officiellement, le pacte de Varsovie fut institué en réaction à l’entrée de l’Allemagne de l’Ouest dans l’OTAN, on peut supposer qu’il s’agissait bien davantage d’une manœuvre d’ordre tactique. En effet, les deux blocs militaires (OTAN et pacte de Varsovie) se neutralisant, Nikita Khrouchtchev espérait sans doute se débarrasser de l’OTAN en proposant le démantèlement simultané des deux alliances. Et cela, tout en maintenant un système d’accords de défense avec les pays de l’Europe de l’Est. Seulement, et dès sa création, la solidité et la cohérence politique du pacte de Varsovie furent compromises par l’attitude de l’URSS qui s’avéra incapable d’accorder à ses alliés une véritable égalité de statut. Outrageusement dominés par leur ”grand frère de l’Est”, les pays membres du pacte étaient totalement inféodés et ne pouvaient donc abandonner l’alliance sous peine d’être ramenés à l’ordre militairement. C’est ainsi que durant la révolution hongroise de 1956, la Hongrie, qui avait projeté de quitter le pacte pour devenir neutre, en fut empêchée par l’Armée rouge qui intervint et éradiqua toute résistance. Dans un même ordre d’idées, le ”Printemps de Prague” (1968) fut très sévèrement réprimé par les forces du pacte de Varsovie afin de mettre un terme à la réforme démocratique engagée par la République socialiste tchécoslovaque. Ces deux exemples illustrent la politique menée par l’URSS envers les pays membres du pacte. Politique clairement définie par la ”doctrine Brejnev” : « Quand des forces hostiles au socialisme cherchent à faire dévier des pays socialistes vers le capitalisme, cela devient un problème, non seulement de la nation intéressée, mais un problème commun à tous les pays socialistes. »

Note : Les huit Etats signataires du pacte de Varsovie furent les suivants : Union soviétique, Albanie (jusqu’en 1968), Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et Allemagne de l’Est. (Un représentant de la République populaire de Chine était invité en tant qu’observateur.)


54 - Indépendamment des dysfonctionnements politiques du pacte, liés à sa gestion interne, ses forces conventionnelles (c’est à dire, non-nucléaires), n’en étaient pas moins redoutables et, de toute manière, surpassaient très largement celles des Occidentaux. Que l’on en juge : le pacte alignait 95 divisions, plus de 25000 chars et 4500 avions de combat. De son coté, l’OTAN n’opposait que 35 divisions, 7600 chars et 2000 avions. On peut donc se demander ce qu’il serait advenu de la guerre froide si la dissuasion nucléaire n’avait pas neutralisé les deux blocs. L’URSS en serait-elle venue à un affrontement direct avec l’OTAN ? Ou, plus pragmatiquement, se serait-elle contentée de maintenir sa menace tout en restant l’arme au pied ? Cette question peut paraître oiseuse. Toutefois, elle illustre un paradoxe historiquement des plus singulier : finalement c’est la bombe atomique, l’arme la plus meurtrière mise au point par l’homme, qui, semble-t-il, a préservé la paix en Europe...


55 - Toujours dans le cadre de la guerre froide (cette ”drôle de guerre”, pourrait-on dire) va survenir un nouvel évènement dont les conséquences s’avèreront majeures pour l’Europe. C’est en effet durant la nuit du 12 au 13 août 1961 qu’au cœur même de la ville de Berlin commença l’édification d’un mur qualifié de « mur de la honte » par les Allemands de l’Ouest et « mur de protection antifasciste » par le gouvernement est-allemand. Notons que la formule : « mur de protection anti-capitaliste » aurait été plus appropriée... Devenu la représentation matérielle et omniprésente de la frontière intérieure allemande, ce mur, qui resta debout pendant plus de vingt-huit ans, constitua le symbole le plus prégnant d’une Europe divisée par le « rideau de fer. » La question qui se pose maintenant est celle-ci : pourquoi la République démocratique allemande (RDA), évidemment vassalisée par l’URSS, prit-elle cette décision ? Pour répondre à cette question, il faut se souvenir que Berlin était divisée en deux zones très distinctes. La partie Ouest était occupée par les alliés Occidentaux alors que l’Est l’était par l’URSS. Dans le cadre de la guerre froide, matérialisée en Europe par le face à face entre l’OTAN et le pacte de Varsovie, la confrontation était avant tout d’ordre militaire. Toutefois, et tout aussi redoutable, une autre confrontation, économique, celle-ci, perdurait au détriment des pays de l’Est. Avant l’édification du mur, une relative liberté de circulation entre les deux zones berlinoises permettait à leurs citoyens respectifs d’aller et venir à peu près librement d’une zone à l’autre. Conséquemment, les ouvriers résidants dans Berlin Est qui franchissaient la frontière pour travailler dans la zone Ouest, étaient très bien placés pour comparer les conditions de vie propres aux deux zones : celle de la RDA communiste et celle de la RFA capitaliste. Seulement, l’économie planifiée par Moscou ne pouvait rivaliser avec l’économie de marché du monde capitaliste. Il en découla un vaste mouvement migratoire qui amenuisa très sensiblement la main d’œuvre, notamment qualifiée, de Berlin Est. (Les Allemands appelèrent cette migration : « voter avec ses pieds. ») Pour les autorités Est-allemandes, ces mouvements migratoires ne pouvaient donc se prolonger. C’est pourquoi, elles décidèrent de fermer hermétiquement la frontière entre les deux zones berlinoises, d’où, l’édification du mur de Berlin.


56 - Dès sa construction, le mur de Berlin est devenu le symbole de la guerre froide et de la division du monde en deux camps antagonistes. Selon la rhétorique occidentale (Relire à la section 45 l’extrait du célèbre discours prononcé le 26 juin 1963 par le président américain J.F. Kennedy), Berlin Ouest représentait le Monde libre confronté au monde d’oppression prêté à l’univers communiste. De fait, l’édification du mur de Berlin projeta une image très négative du bloc de l’Est et, surtout, prouva son échec économique face au bloc occidental. Dès lors, le bloc soviétique s’apparenta à une vaste prison érigée afin de dissuader les citoyens qui n’avaient qu’une seule idée en tête : fuir ! Incontestablement, le mur fut un aveu d’échec et terni durablement l’image du monde communiste. Par ailleurs, cet épisode, qui aurait pu être dramatique, fut prémonitoire. En effet, il préfigura la désintégration de l’URSS dont la cause, avant même d’être politique, fut économique.


Checkpoint Charlie.

57 - Si le blocus de Berlin avait effectivement démontré aux alliés occidentaux que le statut de la ville était constamment menacé, l’édification du mur fut interprétée comme la confirmation matérielle d’un statu quo accepté par le bloc de l’Est. Sans doute, ceci explique-t-il la relative modération des réactions internationales face à ce nouveau coup de force. Le président américain J.F. Kennedy ira même jusqu’à qualifier la construction du mur de « solution peu élégante, mais mille fois préférable à la guerre. » On ne peut lui donner tort ! Et cela, d’autant plus que ce mur ne fut pas édifié pour nuire à Berlin Ouest mais seulement pour dissuader les citoyens de Berlin Est de la rejoindre. Toutefois, l’incident survenu au lieu de passage (Checkpoint Charlie) a illustré les tensions existant entre les troupes américaines et soviétiques. C’est en effet le 27 octobre 1961 que ces troupes en vinrent à une confrontation directe qui aurait pu dangereusement s’envenimer. Le Checkpoint Charlie était un lieu de passage réservé aux étrangers, au personnel diplomatique et à des échanges de prisonniers. Bafouant le droit de libre circulation dont bénéficiaient tous les membres des forces d’occupation, des gardes-frontières de la RDA exigèrent de contrôler du personnel des forces alliées qui voulait se rendre en secteur soviétique. A la suite de cette inacceptable exigence, dix chars américains se postèrent à l’extrémité occidentale du point de passage aussitôt suivis par dix chars soviétiques qui s’immobilisèrent du coté Est. Le face à face dura trois jours au terme desquels les blindés finirent par se retirer, aucun des deux camps ne voulant déclencher une escalade à l’issue des plus incertaine. Afin de clore cet incident, les deux camps retirèrent leurs chars et la libre circulation par le poste-frontière Checkpoint Charlie fut rétablie.


58 - Ici, une nouvelle question se pose : compte tenu du rapport de force né de la confrontation entre l’Est et l’Ouest, la paix en Europe pouvait-elle être indéfiniment préservée ? En d’autres termes, un nouvel incident, comme celui du Checkpoint Charlie, ne finirait-il pas, à terme, par provoquer une guerre nucléaire entre les USA et l’URSS ? Après tout, la crise des missiles de Cuba (1962) a bien failli amener ces deux Etats à une telle confrontation. D’un strict point de vue militaire, lequel d’entre eux était-il le plus dangereux ? Les USA, avec leur expansionnisme politico-économique ou l’URSS, avec son expansionnisme idéologico-militaire ? Le dénouement de ce dilemme, qui aurait pu être tragique pour l’humanité, sera du à un homme politique soviétique, injustement décrié par son propre peuple : Mikhail S. Gorbatchev. Toutefois, et avant de nous pencher davantage sur cet homme lucide et, incontestablement, épris de justice et de paix, attardons-nous quelques instants sur le ”communisme d’Etat” tel qu’il fut pratiqué en URSS depuis la Révolution d’octobre 1917.

Note : La formule ”communisme d’Etat” s’apparente à un oxymore. En effet, l’idéologie communiste promeut l’abolition de la propriété privée des moyens de production, des classes sociales et de l’Etat. Par conséquent, et en raison de la contradiction entre communisme et Etat, les deux termes ne peuvent être associés. C’est pourquoi, d’ailleurs, les pays ayant adopté l’idéologie communiste se qualifient eux-mêmes ”d’Etats socialistes” et non communistes. Compte tenu de cette importante remarque, je dois préciser ma pensée. Selon moi, en effet, le ”communisme d’Etat” est un type de régime politique où le monopole du pouvoir est détenu par un seul parti se réclamant (à tort ou à raison) du communisme et du marxisme-léninisme. Certes ! Un tel système politique organise des élections (souvent prétendues ”libres”.) En réalité, il ne s’agit que d’un leurre dont le seul but est de donner l’illusion que la démocratie n’est pas bafouée.


59 - Dans mon précédent article (Europe : logos ou polémos), nous avons vu que la Révolution française de 1789 avait mis un terme (pas encore définitif d’où : la Restauration) à la monarchie. De son coté, la Révolution bolchevique d’octobre 1917 à également mis un terme au tsarisme avec, notamment, l’assassinat du dernier Romanov : Nicolas II et de sa famille (dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.) Si le processus révolutionnaire peut paraître identique, ses conséquences historiques sont loin de l’être. En 1789, les Représentants du Peuple français ont conçu et publié une Déclaration solennelle, celle des ”Droits de l’Homme” dont l’article Ier définit le statut universel des hommes : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Enoncée dès le début de cet article, et reprise lors de la rédaction du deuxième, la notion de liberté est la valeur prédominante de cette déclaration. Dès lors, la Révolution française n’aura de cesse de promouvoir cette valeur sans laquelle l’homme ne peut accéder à la dignité (ce terme sera d’ailleurs inséré dans l’article Ier de la ”Déclaration universelle des droits de l’homme” de 1948.). Peu soucieuse de ces considérations humanistes, la Révolution bolchevique d’octobre 1917 s’est contenté de substituer un totalitarisme par un autre. C’est ainsi que la ”dictature du prolétariat” à remplacé l’absolutisme impérial des tsars. En fait, seule la nature du pouvoir avait changé et non pas ses objectifs humains. Si l’on fait abstraction de sa base théorique (le marxisme, notamment), le ”communisme d’Etat” s’est inscrit dans la lignée de la servitude imposée par le tsarisme car, finalement, le peuple russe a-t-il été plus heureux sous Staline ou sous Nicolas II ? Par contre, tout comme le peuple français devait se débarrasser de la monarchie et de ses intolérables privilèges, le peuple russe devait également chasser le tsarisme et, cela, pour les mêmes raisons. Seulement, si la France dût s’accommoder de la gouvernance de Napoléon Ier, la Russie dût subir celle de Staline. Si l’on peut reprocher au premier son goût meurtrier pour la guerre (mais, le contexte géopolitique de son époque ne fut pas étranger à cette inclination), accordons-lui, quand même, la rédaction de son code civil. La vocation principale de ce code dit ”Code Napoléon” (dont une grande partie subsiste toujours aujourd’hui) fut la classification des droits dont devaient bénéficier tous les citoyens. A l’opposite, les bases juridiques de la Russie n’ont guère préoccupé Staline dont le seul souci était de pérenniser son pouvoir totalitaire sous le couvert du marxisme-léninisme et en s’appuyant sur la toute-puissance de l’appareil policier (la Guépéou puis, le NKVD.) Les conséquences humaines et économiques furent désastreuses pour l’URSS et, corrélativement, pour le communisme qui fut associé à ce désastre.


60 - Au lendemain de la mort de Staline (le 5 mars 1953), et au cours du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique de 1956, son successeur (indirect) Nikita Khrouchtchev, a, par le truchement de son ”discours secret”, entrepris de dénoncer les méfaits de la politique stalinienne. On peut s’interroger sur cette dénonciation (pour le moins tardive) formulée par un homme politique qui, durant des années, a cautionné la politique de celui qu’il vient de traîner aux gémonies. Qu’elle est la part de sincérité ? Qu’elle est celle d’opportunisme politique ? La réponse se trouve peut-être dans cet extrait des mémoires de Khrouchtchev : « Staline appelait tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui des ”ennemis du peuple”.Il disait qu’ils voulaient restaurer l’ordre ancien (le tsarisme) et que pour y parvenir, les ”ennemis du peuple” s’étaient liés aux forces réactionnaires internationales. En conséquence, plusieurs centaines de milliers de personnes honnêtes ont péri. Tout le monde vivait dans la peur (y compris Khrouchtchev ?) Tout le monde s’attendait à tout moment à être réveillé au milieu de la nuit par des coups à la porte et à ce que cet évènement leur soit fatal... Les personnes qui n’étaient pas du goût de Staline étaient supprimées, des membres honnêtes du parti, des personnes irréprochables, loyales et travaillant de tout leur cœur pour notre cause qui avaient suivi l’école de la lutte révolutionnaire sous la direction de Lénine. C’était l’arbitraire total et complet. Et maintenant, tout cela doit être oublié et pardonné ? Jamais ! » Bien plus éclairant qu’un long discours, ce réquisitoire illustre ce que fut le stalinisme.


61 - D’évidence, Nikita Khrouchtchev n’a pas su (ou n’a pas pu ?) établir une véritable démocratie en URSS. Toutefois, comme l’écrivit le correspondant du New York Times à Moscou, Harry Schwartz : « M. Khrouchtchev a ouvert les portes et les fenêtres d’une structure pétrifiée. Il laissa entrer de l’air frais et des idées fraîches qui entraînèrent des changements dont nous pouvons déjà voir les effets fondamentaux et irréversibles. » Il apparaît, donc, qu’après avoir été stalinien, Khrouchtchev est devenu prématurément ”Gorbatchévien.” Compte tenu de l’ancrage du stalinisme (y compris en France, d’ailleurs) dans la société politique de l’URSS, une transition trop brutale de ce stalinisme vers un libéralisme politique à l’occidentale était, en raison des troubles politiques encourus, impensable. En effet, et comme l’atteste les rivalités idéologico-communautaires qui ont jailli en Libye au lendemain de la chute de Kadhafi, ou celles survenues en Irak après la déchéance de Saddam Hussein, on se rend compte que la démocratie ne survient pas ex nihilo. Pour nous, Occidentaux, elle est née au VIè siècle av. J.C. grâce au grand législateur Solon. Et, aujourd’hui, vingt-six siècles plus tard, on se demande encore ce qu’il faudrait faire pour l’améliorer. La démocratie n’est donc pas un cadeau venu des dieux, bienheureux dans leur intermonde (Cf. Epicure), mais le fruit d’une réflexion sur la condition humaine, considérée sous l’angle politico-social. La question fondamentale soulevée par la démocratie est celle-ci : comment vivre ensemble dans un monde d’égalité et de justice ? Comment construire un monde dans lequel la dignité des hommes est préservée et cela, indépendamment de leur rang social ? Obnubilé par le maintien de sa toute puissance politique, le stalinisme a reconstitué (en pire ?) l’absolutisme des tsars avec l’asservissement qui lui était consubstantiel. Voici donc le système politique reçu en héritage par Nikita Khrouchtchev le 7 septembre 1953.


62 - Sur le plan économique, et pour stopper le déclin de l’URSS, il eut fallu que Khrouchtchev réalise le tour de force réussi par son voisin communiste chinois, Deng Xiaoping. Le successeur de Mao Zedong (en 1976) a mis en œuvre des réformes économiques majeures qui se traduisirent par une libération radicale de l’initiative individuelle et par une importante ouverture sur l’économie de marché et cela tout en préservant un système politique autoritaire. Cette rupture drastique avec le dogme communiste de l’économie planifiée a permis à la Chine d’inaugurer une période d’essor économique soutenue par des taux de croissance extrêmement élevés. C’est ainsi qu’au fil des décennies, ”l’empire du Milieu” est devenu une super puissance économique...

Note : Parachevée, en 2001, par son entrée à l’OMS (Organisation mondiale du commerce) la véritable révolution économique de la Chine est une incontestable réussite. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce véritable ”bond en avant” fut largement facilité par la surexploitation de ses travailleurs. Les salaires, indécemment très bas, ont permis (et permettent toujours) à la Chine d’inonder le marché mondial avec ses produits quasiment bradés. (D’où, d’ailleurs, les délocalisations opérées par les capitalistes occidentaux afin d’augmenter leurs profits.) Ceci étant, accordons, tout de même, au président de la chine actuelle, Xi Jinping de permettre à son peuple de vivre un peu plus décemment. Cependant, et indépendamment de ces considérations économiques, notons également que l’essor chinois n’a guère bénéficié à la démocratie. Comme en témoigne le massacre du mouvement pro-démocratie de Tiananmen (en 1989), la Chine demeure une redoutable dictature dans laquelle les droits de l’homme relèvent du mythe. Notons au passage que ce mépris des valeurs humaines les plus universelles ne semble pas troubler outre mesure ni le commerce mondial ni le libéralisme politique occidental...


63 - Cette réussite de l’économie chinoise a reposé sur un préalable : trahir l’un des piliers fondamentaux du communisme. En effet, adopter l’économie de marché est revenu à cautionner l’un des fondements du capitalisme. Or, pour les théoriciens du communisme, ce système économique était censé disparaître au profit de leur propre système étatique. Nikita Khrouchtchev pouvait-il se rallier à une telle hérésie idéologique ? Peut-être mais, pour ce faire, il eut fallut qu’il soit doté d’un courage politique qui, semble-t-il, lui a fait défaut. Ou, plus vraisemblablement, sans doute, l’inertie de l’appareil d’Etat était-il trop rigide pour envisager une telle conversion.


64 - Il ressort de tout ceci que Nikita Khrouchtchev fut loin d’atteindre les objectifs qu’il s’était, peut-être, fixés. Entraînant avec elle ses alliés du pacte de Varsovie, l’URSS n’est pas parvenue ne serait-ce qu’à freiner son déclin économique (ses principaux successeurs : Léonid Brejnev et Mikhaïl Gorbatchev ne feront guère mieux..) Ceci étant, le processus de déstalinisation qu’il a amorcé lors de son ”discours secret” prononcé au cours du XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique de 1956 n’est pas resté lettre morte. On peut même dire que, quelque part, il a tiré un trait, qui s’épaissira au fil du temps, sur la sinistre période stalinienne vécue par le peuple soviétique durant des décennies. Aussi, peut-on suivre ce commentaire de son biographe, William Tompson : « Alors que Brejnev et ses collègues décédaient ou se retiraient, ils furent remplacés par des hommes et des femmes pour qui le discours secret et la première vague de déstalinisation avaient été une expérience formatrice et ces enfants du XX ème Congrès prirent les rênes du pouvoir sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev et de ses collègues. L’ère Khrouchtchev fournit à cette seconde génération de réformateurs une inspiration et une morale. » En résumé, Nikita Khrouchtchev a condamné les crimes de Staline, commencé le processus de déstalinisation et amorcé la coexistence pacifique avec l’Occident (abstraction faite de la crise des missiles de Cuba...) Après tout, son bilan politique aurait pu être pire...


Printemps de Prague.

65 - C’est le 14 octobre 1964 que Léonid Brejnev succéda à Nikita Khrouchtchev. D’emblée, nous pouvons dire que l’ère Brejnev a marqué une rupture avec la politique amorcée par son prédécesseur. Sans doute, même, peut-on aller jusqu’à qualifier cet infléchissement de régression. D’ailleurs, Mikhaïl Gorbatchev ainsi que les cadres réformateurs (les ”enfants” du XXe Congrès) qualifièrent l’ère Brejnev de ”période de stagnation du pays”. Toutefois, et en dépit d’une économie en sommeil, on ne peut nier certains progrès, certes modestes mais néanmoins réels, des conditions de vie du peuple soviétique. En réalité, le domaine de prédilection de Brejnev fut, sans conteste, une politique étrangère menée dans le but de consolider la cohésion du bloc socialiste et de renforcer la puissance géopolitique de l’URSS. Dans cette perspective, Brejnev élabora une doctrine (la doctrine Brejnev) dont voici le rappel : « Quand des forces hostiles au socialisme cherchent à faire dévier des pays socialistes vers le capitalisme, cela devient un problème, non seulement de la nation intéressée, mais un problème commun à tous les pays socialistes. » Dépourvue de toute ambiguïté politique, cette doctrine a clairement défini les limites de l’autonomie à laquelle pouvaient prétendre les Etats satellites de l’URSS. Et d’ailleurs, c’est en 1968 que la Tchécoslovaquie d’Alexandre Dubcek a eu ”l’opportunité” de vérifier ce constat. Confronté au désir manifesté par ce pays de créer un socialisme ”à visage humain”, Brejnev n’a pas hésité à dénoncer le ”Printemps de Prague” comme « révisionniste » et « antisoviétique » Procès qui va se traduire, le 21 août 1968, par l’invasion du pays par les forces du Pacte de Varsovie. Suite à cette intervention, les membres du gouvernement furent remplacés par des hommes inféodés à l’Union soviétique. Dès lors, les pays membres du pacte étaient avertis...


66 - Indépendamment de cette ingérence brutale dirigée contre la Tchécoslovaquie d’Alexandre Dubcek, c’est sous le mandat de Brejnev que, durant les années 1970, l’Union soviétique atteignit l’apogée de son pouvoir politique et stratégique par rapport à son rival américain. Rival, il est vrai, sensiblement affaibli par sa défaite finale au Vietnam (en 1975) et le scandale du Watergate (scandale qui causa, en 1974, la démission du Président américain Richard Nixon.) Cet incontestable redressement de la diplomatie de l’URSS va notamment se traduire, au cours de l’été 1975, par la signature de l’acte final de la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE.) Cette Conférence était une instance multilatérale de dialogue et de négociation entre les blocs de l’Est et de l’Ouest durant la guerre froide qui sévit, notamment en Europe, entre 1947 et 1989 (date de la proclamation de sa fin par Mikhaïl Gorbatchev et le président américain George Bush.) Et, de fait, les accords d’Helsinki signés par les Etats-Unis, les autres membres de l’OTAN et les nations du pacte de Varsovie (y compris la RDA mais sans l’Albanie) ont sensiblement amélioré les relations diplomatiques, entre les deux blocs. D’ailleurs, la Charte de Paris en 1990 a salué l’acquis de la CSCE en ces termes : « Le courage des hommes et des femmes, la puissance de la volonté des peuples et la force des idées de l’Acte final d’Helsinki ont ouvert une ère nouvelle de démocratie, de paix et d’unité en Europe. »

Note : L’acte final de la Conférence d’Helsinki n’a pas mis un terme à la CSCE. Ce n’est qu’au sommet de Budapest, fin 1994, qu’elle sera remplacée par un nouvel organisme international : l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE.)


67 - Sans qu’il soit possible, ici, d’entrer dans les détails, disons, qu’en substance, la CSCE a abordé trois thèmes : la sécurité en Europe, le développement de la coopération entre les Etats et les droits de l’homme. Créée afin de régir les relations mutuelles des Etats, la CSCE est souvent synthétisée par le ”décalogue” qui énumère ses dix points fondamentaux :


1- Egalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté.

2- Non-recours à la menace ou à l’emploi de la force.

3- Inviolabilité des frontières.

4- Intégrité territoriale des Etats.

5- Règlement pacifique des différents.

6- Non-intervention dans les affaires intérieures.

7- Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction.

8- Egalité des droits des peuples et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

9- Coopération entre les Etats.

10- Exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international.

Note : Il est des plus instructif de comparer le point No 7 de ce décalogue avec l’Article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dont voici l’intitulé : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Ou, avec l’Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dont voici le début : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (...) »


68 - Assez légitimement, les accords d’Helsinki furent considérés par l’URSS de Brejnev comme un succès fondamental de sa diplomatie. En effet, le dirigeant soviétique pensa que le statu quo politique et territorial européen était gravé dans le marbre. Et que, par conséquent, la mainmise de l’URSS sur l’Europe de l’Est avait été entérinée notamment en raison du point No 3. Point qui, comme nous venons de le constater, garantissait l’inviolabilité des frontières et donc, celles des pays européens de l’Est dont l’URSS détenait le contrôle. (D’ailleurs, certains historiens n’hésitent pas à comparer les accords d’Helsinki avec ceux de Yalta voire, même, avec ceux de Munich...). Au final, la division de l’Europe d’après guerre paraissait, bel et bien, durablement établie. Seulement, cette victoire diplomatique ne fut qu’un leurre qui se retourna contre l’URSS de Brejnev. La question qui se pose maintenant est celle-ci : pourquoi ? Nous venons de voir (section No 67) que la CSCE avait abordé trois thèmes appelés ultérieurement ”corbeilles” : la sécurité en Europe, le développement de la coopération entre les Etats et les droits de l’homme. Cette dernière corbeille répondait avant tout à la volonté des Occidentaux d’inclure la question des droits de l’homme, question incompatible avec la pratique des régimes communistes. L’URSS a donc été confrontée à un dilemme : soit céder aux exigences occidentales en matière des droits de l’homme ou renoncer aux concessions accordées par les accords d’Helsinki sur les questions de sécurité. Dans un premier temps, l’URSS de Brejnev parut accepter ce marché en respectant les Droits de l’homme, les libertés fondamentales, y compris de conscience et religieuses. Mais l’accalmie fut de courte durée car, très vite, l’URSS céda à ses vieux démons et restaura son habituelle chape de plomb sur les peuples qu’elle contrôlait. Seulement, pourrait-on dire, le mal était fait. En effet, les opposants au système socialiste s’arc-boutèrent sur la troisième corbeille des accords d’Helsinki pour exiger la chute des régimes communistes. Et, comme nous allons le voir très bientôt, il y parvinrent...


/Mikhail Gorbachev.

69 - C’est en 1985 que Mikhail S. Gorbatchev devint le principal dirigeant de l’URSS et l’accession au pouvoir de ce grand homme politique a eu d’énormes conséquences, tant sur le plan intérieur, qu’extérieur. Sur le plan intérieur, il mit en place deux concepts fondamentaux : la ”glasnost” (ou ”transparence”) et la ”perestroïka” (ou ”reconstruction”.) Sans entrer dans les détails, disons seulement que ces importantes réformes étaient censées remédier aux excès de la centralisation bureaucratique de l’économie qui avaient amené l’URSS au bord du gouffre. D’un strict point de vue théorique, la perestroïka était mue par trois préoccupations : économique, sociale et éthique. En fait, et sans renier pour autant les principes du marxisme-léninisme, Gorbatchev avait pressenti qu’il était temps de limiter les pouvoirs exorbitants du parti communiste en tant que parti unique et dirigeant omnipotent de l’Etat. En clair, le moment était venu de démocratiser le pays. Seulement, l’un des principaux obstacles politiques auquel se heurta Gorbatchev résulta de l’absence d’un climat de confiance envers la nouvelle politique de l’Etat. En outre, et faute d’un cadre juridique précis, ses réformes se heurtèrent également à la toute puissance du parti et de la mainmise du KGB sur l’ensemble des Soviétiques. Nous retrouvons ici le principal handicap consubstantiel au communisme soviétique : l’absence de liberté, tant sur le plan économique que social. Sous un tel régime, tout est interdit, tout est proscrit. Seul prédomine un arbitraire omniprésent alimenté par les cadres du parti qui ne veulent pas perdre leurs privilèges et, conséquemment, leurs pouvoirs. Comme l’avaient très bien compris les Grecs (Platon, Aristote, entre autres), la force, et, donc, la pérennité d’un Etat, dépendent de la qualité de sa constitution. Si elle est démocratique, l’Etat sera un Etat de droit. Dans le cas contraire, il sera une dictature. Toute la dramaturgie du communisme d’Etat se résume à cette problématique. Le grand mérite de Gorbatchev est d’avoir tenté d’inverser ce processus en instaurant, non pas une véritable démocratie (c’était beaucoup trop tôt), mais du moins, en s’en approchant le plus possible. Au final, les réformes engagées par Gorbatchev donnèrent des résultats plutôt mitigés. La perestroïka (restructuration économique) n’a pas atteint les objectifs escomptés. Elle a même aggravé les pénuries de biens de consommation et les inégalités sociales, entraînant ainsi un persistant mécontentement populaire. Toujours sur le plan intérieur, la démocratisation du régime, amorcée avec la glasnost (transparence) n’a pas atteint ses objectifs et provoqua, même, l’émergence de conflits inter-ethniques et la montée de nationalismes ravageurs pour l’unité de la Nation.


70 - Sur le plan international, la politique menée par Gorbatchev visa essentiellement à favoriser la détente entre l’Est et l’Ouest. C’est en raison de cette orientation pacifiste qu’il reçut, en 1990, le prix Nobel de la paix pour son active contribution à la fin de la guerre froide. (C’est d’ailleurs à Malte, qu’en 1989, Mikhaïl Gorbatchev et le président américain George Bush proclamèrent officiellement la fin de la guerre froide. Dans un même ordre d’idées, c’est en 1991 que les deux dirigeants signèrent l’accord START I engageant les deux grandes puissances à réduire leur arsenal nucléaire de 30%.) Du point de vue strictement européen, la décision la plus spectaculaire prise par Gorbatchev fut incontestablement l’abandon de la doctrine Brejnev dont voici le rappel : « Quand des forces hostiles au socialisme cherchent à faire dévier des pays socialistes vers le capitalisme, cela devient un problème, non seulement de la nation intéressée, mais un problème commun à tous les pays socialistes. » Quelque part, tourner le dos à cette doctrine revenait à vider le pacte de Varsovie de sa substance politique et, conséquemment, de sa raison d’être. La concrétisation la plus nette de ce changement de ligne politique, capital pour l’Europe de l’Est, fut illustrée par une déclaration, datée du 21 novembre 1985, adressée par Gorbatchev aux dirigeants du pacte de Varsovie : « Ne comptez plus sur nos chars, leur dit-il, pour préserver vos régimes et vous maintenir en poste. » Dès lors, les choses étaient claires : il ne fallait plus compter sur ”l’ours soviétique” pour pallier d’éventuelles défaillances de ses Etats satellites. Seulement, il faut se souvenir que le pacte de Varsovie fut, dès sa création par Nikita Khrouchtchev en 1955, un édifice politique artificiel destiné à contrer les forces de l’OTAN déployées en Europe de l’Ouest. Or, et à la suite de l’abandon de son leadership exercé sur les membres de ce pacte, l’URSS décida, de surcroît, de consentir à la liberté de choix de leurs alliances. Dès lors, ce renouement avec la souveraineté politique de ces Etats se traduisit par un premier accord, signé en 1990 par la Tchécoslovaquie et la Hongrie selon lequel les troupes soviétiques devaient se retirer de leurs territoires respectifs. C’est le 7 juin de la même année que les dirigeants des pays membres du pacte se réunirent à Moscou pour décider de transformer l’alliance en un accord fondé sur une ligne démocratique entre Etats souverains et égaux en droits. Précédant son unification avec la RFA (le 3 octobre 1990), la République Démocratique Allemande sera le premier Etat du bloc de l’Est à effectivement quitter le pacte en septembre 1990. Survenue en juillet 1991, une nouvelle réunion entre les ministres des Affaires étrangères des Etats encore membres dissolvent la structure militaire du pacte. Sa structure politique le sera en juillet 1991. Dès lors, le pacte de Varsovie avait vécu et l’Europe pouvait enfin se consacrer à son union.

Note : En réalité, le processus d’unification de l’Europe était déjà nettement engagé. C’est en effet le 18 avril 1951 que la RFA, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas signèrent le traité de Paris instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA.) Le 25 mars 1957, ces mêmes Etats signèrent un nouveau traité (traité de Rome) instituant, lui, la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique. Ce nouveau traité, qui sera suivi par d’autres, a donné naissance au ”marché commun”. Objet de mon prochain article que j’envisage de consacrer à la construction européenne, je n’aborderais pas ce sujet ici.


Allemands de l'Ouest et de l'Est à la porte de Brandebourg en 1989.

71 - Favorisée par la politique menée par Mikhaïl Gorbatchev à l’égard des membres du pacte de Varsovie, la dissolution de ce pacte fut précédée par un évènement majeur survenu dans la nuit du 9 novembre 1989 : la chute du mur de Berlin. Rappelons que ce mur, (symbole emblématique du ”rideau de fer”), dont l édification débuta dans la nuit du 12 au 13 août 1961, ne fut pas décidée pour nuire à Berlin-Ouest mais seulement pour stopper l’immigration des habitants de Berlin-Est vers la partie Ouest de la ville. En 1989, donc, le mur existait déjà depuis 28 ans et sa disparition paraissait impensable. D’ailleurs Honecker (le dirigeant de la RDA en 1989) ne parut guère s’alarmer des évènements qui bouleversaient le monde communiste : « Le mur, déclara-t-il le 18 janvier 1989, existera encore dans 50 et même dans cent ans. » Toutefois, cet optimisme, pour le moins malvenu, était étayé par la puissance du SED ou : ”Parti socialiste unifié d’Allemagne” (”Sozialistische Einheitspartei Deutschlands”) qui avait réussi à rassembler 700 000 personnes à Berlin-Est lors du traditionnel défilé du 1er mai 1989. Le pouvoir pouvait donc compter sur l’incontestable adhésion d’un grand nombre de Berlinois de l’Est. Et, de fait, le SED comptait environ 2,3 millions de membres, chiffre élevé et stable dont les dirigeants communistes se prévalaient. Seulement, l’histoire des pays de l’Europe de l’Est était engagée dans un processus irréversible : leur émancipation, tant territoriale que politique, de la tutelle de l’URSS. En outre, portés par la troisième corbeille des accords d’Helsinki (revoir la section No 67), les opposants au régime communiste de la RDA revendiquaient avec force le respect des libertés fondamentales dont celle de circuler librement.

Note : En 1989, les ressortissants est-allemands sont de plus en plus nombreux à quitter la RDA via la Tchécoslovaquie et la Hongrie. L’afflux de ces migrants est tel que ces deux pays accentuent la pression sur la RDA afin qu’elle trouve une solution afin de le réduire. Conscient de cette problématique, Egon Krenz (chef d’Etat de la RDA, à cette époque) se devait de réagir.

C’est dans cet épineux contexte, qu’empreint d’une incontestable lucidité politique, le discours prononcé par Egon. Krenz devant le comité central du SED souligne que : « le ”tournant” doit créer des conditions telles pour le renouvellement du socialisme que le retour aux temps passés ne soit plus possible (...) et que sans sous-estimer l’influence de l’adversaire, nous devons reconnaître que les véritables causes de cette émigration douloureuse pour notre société sont à chercher chez nous. » Poursuivant, Krenz annonce qu’une nouvelle loi électorale devra être adoptée : « garantissant un vote libre, général, démocratique et secret, soumis au contrôle public à tous les niveaux. » Enfin, il déclare que « le mouvement civique ”Neves Forum” (inspiré par la troisième corbeille des accords d’Helsinki) et d’autres sont finalement autorisés. »


72 - La porte venait donc de s’entrouvrir. Elle va s’ouvrir totalement lorsque survint une conférence de presse accordée, le 9 novembre 1989, au journaliste Peter Brinkmann par le député de la Chambre du peuple, Günter Schabowski : « Les voyages privés vers l’étranger, déclara-t-il, peuvent être autorisés sans présentation de justificatifs, motif du voyage ou lien de famille. Les autorisations seront délivrées sans retard. Une circulaire en ce sens va être bientôt diffusée. Les départements de la police populaire responsables des visas et de l’enregistrement du domicile sont mandatés pour accorder sans délai des autorisations permanentes de voyage, sans que les conditions actuellement en vigueur n’aient à être rempliées. Les voyages y compris à durée permanentes peuvent se faire à tout poste-frontière avec la RFA. » A ce moment, le journaliste posa cette question : « Quand ceci entre-t-il en vigueur ? » La célèbre réponse de Günter Schabowski fusa : « Immédiatement ! » Dès lors, les choses s’accélérèrent. La foule, de plus en plus considérable, se pressa sur les points de passage. Complètement débordés par cette vague incontrôlable, les gardes-frontières n’eurent d’autre choix que d’ouvrir tous les points de contrôle. S’ensuivit la démolition physique du mur immortalisée par le violoncelle de Mstislav Rostopovitch qui accompagna cet évènement historique en jouant, notamment, le célèbre prélude en Ré Majeur de Jean-Sébastien Bach.


73 - Nous sommes donc fin 1989 et le régime communiste de la RDA vient de s’effondrer comme ceux, d’ailleurs, des autres pays d’Europe de l’Est. Prévues en mai, des élections, enfin libres, en RDA sont avancées au 18 mars 1990. Le principal parti de droite (la CDU) remporte ces élections et forme un gouvernement de coalition dirigé par Lothar de Maizière. Quasiment aussitôt, Lothar de Maizière entame avec le chancelier de la RFA, Helmut Kohl, des négociations qui vont aboutir à la réunification allemande le 3 octobre 1990.

Note 1 : Chancelier de la RFA, puis de l’Allemagne réunifiée, Helmut Kohl a dirigé le pays pendant seize ans, de 1982 à 1998. Européen convaincu, il a largement contribué à la construction européenne dont la condition essentielle était la réconciliation franco-allemande. Proche de François Mitterrand, il a donc favorisé l’entente franco-allemande comme l’atteste son apparition, main dans la main, avec le président français à l’ossuaire de Douaumont le 22 septembre 1984.

Note 2 : On peut établir un lien entre la réunification allemande du 3 octobre 1990 avec le rattachement des Etats du Sud de l’Allemagne à la Confédération de l’Allemagne du Nord au sortir de la guerre franco-prussienne de 1870. Voulu par Bismarck, cet achèvement de l’unité allemande a fondé l’Empire allemand qui, dès lors, est devenu une redoutable puissance à la fois économique et militaire. La réunification de 1990 n’a pas eu les mêmes effets car la RFA disposait déjà d’une très forte économie et, d’ailleurs, le rattachement de la RDA a eu, de ce point de vue, des conséquences négatives. Sur le plan militaire, l’armée de l’Allemagne était intégrée dans les forces de l’OTAN ce qui limitait d’autant sa puissance propre et, surtout, son autonomie.


74 - Loin d’être un aléa de l’histoire, la chute du mur de Berlin fut un évènement majeur qui remit profondément en cause l’ordre mondial hérité de la seconde guerre mondiale. Cette chute entraîna la fin d’une Europe et d’une Allemagne coupées en deux. Du moins sur le vieux continent, la confrontation Est-Ouest n’avait plus aucune raison de perdurer et le ”rideau de fer” churchillien de rester fermé. Une ère nouvelle s’est ouverte en Europe, non plus dominée par l’opposition de deux systèmes antagonistes mais éclairée par une marche commune vers la démocratie. Sortis indemnes de la guerre froide, les peuples européens pouvaient enfin espérer vivre durablement en paix à l’exception, malheureusement, des peuples yougoslaves qui, dès l’année 1991, s’affrontèrent lors de terribles guerres ethniques. Amorcé par le traité de Paris signé en 1951, l’Europe, enfin géopolitiquement unie, pouvait poursuivre son cheminement vers une salutaire unification politique et cela, en dépit des difficultés inhérentes à cet idéal. En ce qui concerne plus précisément la réunification de l’Allemagne, il convient de noter que, contrairement à l’histoire de ce pays, elle s’est effectuée sans recourir à la guerre. Souvenez-vous, la Confédération de l’Allemagne du Nord résulta de la terrible défaite autrichienne subie en 1866 (bataille de Sadowa). De son coté, et comme je l’ai précédemment évoqué, le rattachement des Etats du Sud à cette Confédération s’effectua au lendemain de la défaite subie par Napoléon III en 1870 lors de la guerre franco-prussienne (bataille de Sedan.) Cette fois-ci, nulle guerre ne fut à l’origine de cette réunification. Il semblerait que la confrontation entre la RDA et la RFA se soit éteinte d’elle-même faute, sans doute, d’une véritable justification stratégique.


75 - Nous venons de voir que la chute du mur de Berlin, et l’apaisante réunification de l’Allemagne qui a suivi cet évènement majeur, avaient été salutaires pour la paix et le devenir de l’Europe. Ceci étant, nous n’avons fixé notre attention que sur l’aspect géopolitique de ces bouleversements qui ont redessiné la carte politique de l’Europe. Sans doute est-il temps, maintenant, de nous pencher sur les conséquences humaines imputables à cette réunification. Comment les femmes et les hommes de l’Allemagne de l’Est l’ont-ils vécu ? Mais avant de poursuivre davantage souvenons-nous que la République démocratique allemande (RDA) fut créée le 7 octobre 1949 par le Parti socialiste unifié d’Allemagne (revoir la section No 48) en réaction à la fondation de la République fédérale allemande (RFA.) Donc, en 1990, les ressortissants de la RDA vivaient depuis 41 ans sous un régime communiste. Fut-ce l’enfer ? Et, surtout, les nouvelles conditions de vie offertes par la RFA étaient-elles véritablement paradisiaques ? En bref, l’intégration de ces femmes et de ces hommes de l’Est dans le monde capitaliste de l’Ouest leur fut-elle bénéfique ou, au contraire, néfaste ? En filigrane, cette question en soulève une autre : les conditions de vie dans un régime communiste sont-elles totalement insupportables ? Certes, le mode de fonctionnement d’un régime communiste s’apparente davantage à une dictature qu’à une démocratie mais peut-on pour autant affirmer que ce système politique soit rédhibitoirement nocif pour les peuples qu’il administre ? S’il est incontestable que le communisme d’Etat est attentatoire des libertés individuelles (certaines pages de cet article l’attestent), n’est-il que cela ? L’actuelle chancelière allemande Angela Merkel (elle-même, originaire de l’Est) a déploré dans une interview accordée à l’hebdomadaire allemand, Die Zeit, une interprétation pour le moins partiale de la politique menée en RDA : « La politique posait des limites strictes aux individus, mais elle n’était pas non plus omniprésente. Il y avait des amitiés. Il y avait des espaces où l’on pouvait discuter, réfléchir, faire la nouba. Dans les récits, on ne raconte pas ces aspects-là de la vie. » Finalement, ce que nous dit, indirectement, il est vrai, Angela Merkel c’est que l’on peut vivre sous une dictature communiste mais à la condition, toutefois, de ”vivre caché”

Note : Dans son principal ouvrage : Discours de la servitude volontaire, La Boétie (l’ami de Montaigne), a très lucidement remarqué qu’une tyrannie ne peut uniquement reposer sur la force. Elle a besoin d’une certaine complicité, au moins passive, d’une grande partie du peuple ainsi dominé. La Boétie pensait, et à juste titre, que ce sont les hommes qui « s’asservissent et se coupent eux-même la gorge. » De fait, ils soutiennent la tyrannie (ou la dictature) en tissant un vaste réseau de liens serviles entièrement inféodés au pouvoir tyrannique ou dictatorial. Dans un tel système, chacun est tour à tour opprimé ou oppresseur, complice ou victime du pouvoir qui est conforté par cette malsaine ambivalence. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » s’interrogea Louis Aragon... Il semblerait, selon La Boétie...

En fait, comme l’écrivit Volker Braun, la RDA était une « société de niches » : tout un chacun, à condition de ne pas franchir les bornes (c’est à dire, à condition de ne rien revendiquer, surtout, politiquement) pouvait « vivre une vie, certes, médiocre mais sure sans avoir affaire au système (...) Il était plus facile d’échapper, hier, aux pressions de la bureaucratie qu’aujourd’hui à celles de l’argent. » De son coté, la veuve d’un dissident longuement emprisonné, Mme Marie Borkowski, déclara que : « Repliés sur leur vie privée, les gens ignoraient ce qui se passait. » Sentiment confirmé par Rita Kuczynski : « Il suffisait de ne pas se faire remarquer, de s’opposer en racontant des blagues. » De son coté, Egon Krentz se montrera encore plus explicite : « Les gens de l’Est ont connu deux sociétés, et peuvent donc comparer. Ils sont 17 millions à savoir que la RDA ne se résume pas à la Trabant (voiture emblématique de la RDA) ou à la Stasi. (Service de police politique de la RDA, fondé le 8 février 1950) Malgré tout ce qui a mal tourné, il y avait du travail pour tous, des logements à bon marché, une santé gratuite et performante... Autant d’acquis qu’ils regrettent. » Egon Krentz vient d’évoquer, mais sans la nommer, ”l’Ostalgie” (néologisme formé à partir ”d’Ost” ou ; Est, en allemand, et nostalgie) ressentie par beaucoup d’Allemands de l’Est au lendemain de la chute du mur. Alors, ces ”Ostalgiques” étaient-ils tous des lâches ayant privilégié leur petit confort au détriment de leur liberté ? Pour nous, qui avons la chance de vivre en démocratie, la réponse à cette question peut sembler relever du bon sens : oui ! Seulement, la plupart d’entre-nous n’a jamais vécu en RDA, ni, d’ailleurs, dans tout autre Etat communiste. Aussi, et avant de juger, demandons-nous ce que nous aurions fait à la place des ”Ostalgiques”. Aurions-nous rejoint la courageuse dissidence ou nous serions-nous contentés de ”vivre caché » ? Réfléchissons à cela afin de mieux nous connaître...


76 - Encore un instant, si vous le voulez bien. Remémorons-nous cette réflexion de J.J. Rousseau insérée au début de son ”Contrat social” : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » D’évidence, à l’Ouest, l’homme était plus libre qu’à l’Est. Seulement, sous la dictature de l’argent, est-on véritablement libre lorsque l’on en est dépourvu ? Lorsque l’on ne peut même plus payer son loyer ? Lorsque, parfois, l‘on est contraint de voler pour donner à manger à ses enfants ? Lorsque l’on est condamné à vivre dans la peur du lendemain ? Alors oui ! Le capitalisme peut s’offrir le luxe de préserver les libertés individuelles. Cela ne le met pas en danger car son joug est bien plus redoutable et son Dieu, l’argent, bien plus répressif. Son credo est des plus simple : enrichis-toi ! Accumule tes profits ! Et que ce soit au détriment du plus grand nombre, n’a aucune importance !


77 - Le mur de Berlin est donc à terre et l’Allemagne réunifiée. Mais, qu’est-il advenu de l’URSS ? Qu’elles furent les causes de son effondrement ? Si l’on se réfère à Egor Gaïdarau (économiste soviétique) : « La date de l’effondrement de l’URSS est bien connue. Ce n’est pas le jour des accords se Belaveja, ni le coup d’Etat d’août 1991. C’est le 13 septembre 1985, quand le ministre du Pétrole saoudien, Ahmed Yamani, a déclaré que l’Arabie saoudite renonçait à l’accord sur la limitation de la production pétrolière et commençait à accroître sa part sur le marché du pétrole. Après cela, l’Arabie saoudite a multiplié sa production de pétrole par 5,5 et le prix a été divisé par 6,1. » De fait, en tant que pays producteur de pétrole, l’URSS a été économiquement très durement affectée par cette décision. Ceci étant, je ne suis absolument pas convaincu qu’il s’agit là de la cause principale de l’effondrement de l’URSS. Incontestablement, et sans doute contre sa volonté, le principal artisan de cette catastrophe politique fut Mikhaïl Gorbatchev. D’ailleurs, référons-nous à la déclaration, datée de 2016, du réalisateur russe, Nikita Mikhalkov : « Il importe de reconnaître au niveau d’Etat les crimes de Gorbatchev. et d’Eltsine (son successeur). Délibérément ou non, se guidant sur leurs ambitions ou non, peu importe aujourd’hui. Leurs décisions ont conduit à la désagrégation de notre pays ! C’est la plus grande catastrophe géopolitique de ces cent dernières années. » Même s’il n’est pas tout à fait dénué de vérité, le procès est sévère et s’apparente davantage à un réquisitoire qu’à une analyse objective des faits. Aussi, je préfère le sentiment du président français François Mitterrand : « Je le salue (Mikhaïl Gorbatchev) comme l’homme le plus éminent de l’histoire de notre siècle, celui qui a contribué à la démocratie dans son pays, à la fin de la guerre froide et au désarmement. » Oui, Monsieur Mitterrand, Mikhaïl Gorbatchev était un homme de paix et un démocrate. Seulement, imposer la démocratie en URSS revenait à donner à ses républiques des libertés politiques dont elles étaient dépourvues jusqu’alors. Car, et comme son nom l’indique (Union des républiques socialistes soviétiques) ce pays, loin d’être homogène, était une confédération dont chacune de ses républiques se distinguait des autres par son particularisme souvent ethnique.


78 - Historiquement, c’est lors du 1er Congrès des soviets (conseils) du 30 décembre 1922 que fut proclamée la création de l’URSS ou ”Union des Républiques socialistes soviétiques.” Dès son avènement, ce nouvel Etat fédéral fut administré par le Parti communiste doté de quasiment tous les pouvoirs politiques et administratifs. Dès lors, le sort de l’URSS était lié à celui du parti ce qui explique que son implosion, survenue en 1991, sera due à la fois à la dissidence des Républiques fédérées, à un nationalisme russe très prégnant et à la déliquescence du Parti communiste. Evoquée à l’instant, la dissidence des Républiques fédérées fut juridiquement facilitée par l’article 26 inséré dans le Traité de l’Union des Républiques socialiste soviétiques du 30 décembre 1922. (Insertion confirmée dans la constitution de l’URSS adoptée par le 2ème Congrès du 31 janvier 1924.) Selon cet article : « Chacune des Républiques de l’Union conserve le droit de choisir librement de faire sécession de l’Union », les différentes républiques constitutives de l’Union soviétique avaient la possibilité juridique de quitter la fédération.

Note : Le 25 janvier 2018, l’actuel président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a accusé Lénine et ses successeurs d’avoir proclamé (grâce à l’article 26) le droit des différentes républiques constitutives de l’Union soviétique de faire sécession. Et, de fait, cet article a ouvert la porte au retrait de ces républiques de l’URSS. Il est intéressant de noter que l’article 50, inclus (selon la volonté du Royaume-Uni), dans le traité de Lisbonne, ratifié en 2009, a permis à cet Etat de quitter l’Union européenne. Ce ”brexit” est survenu à la suite d’un référendum organisé par David Cameron le 23 juin 2016. On peut se demander si l’insistance manifestée par le Royaume-Uni pour inclure cet article dans le traité fut seulement motivée par une prémonition ou par la certitude d’y recourir ultérieurement.


Toute fédération, constituée à partir de nations préexistantes, implique forcément une réduction de la souveraineté de ces Etats. Concernant le traité fondateur de l’URSS (celui du 30 décembre 1922), deux articles en sont l’éclairante illustration : l’article 21 du traité stipule que « pour les citoyens des Républiques de l’Union, une citoyenneté unique fédérale est établie. » De son coté, l’article 24 exige que « les Républiques de l’Union modifient leurs constitutions pour les mettre en conformité avec le présent traité. » (On peut mettre cet article en perspective avec l’article 6 de la Constitution américaine de 1787/1789 selon lequel ; « La constitution et les lois des Etats-Unis s’imposent aux Etats. »)

Note : C’est là le problème auquel sont confrontés, aujourd’hui encore, les partisans d’une Europe fédérale opposés aux ”souverainistes” qui n’imaginent même pas la possibilité d’un amenuisement de la souveraineté nationale au profit d’une souveraineté supranationale.


79 - Les éléments à l’instant exposés fondèrent le droit et définirent donc le cadre juridique de l’URSS. Seulement, en tant que République principale de l’Union soviétique, l’ex Russie tsarine dominait outrancièrement les autres républiques. En bref, c’est Moscou qui détenait tous les pouvoirs et, par conséquent, dictait sa loi aux autres républiques. Cette prédominance politique est de la plus haute importance car elle explique la montée progressive d’un sentiment anti-russe qui va provoquer, sous le mandat de Mikhaïl Gorbatchev, puis, sous celui d’Eltsine, la dislocation définitive de l’URSS. Il faut dire que la politique libérale (au sens des ”Lumières”) de Mikhaïl Gorbatchev a grandement facilité ce processus. En effet, et comme l’a déclaré François Mitterrand (revoir la section 76), Mikhaïl Gorbatchev était un véritable démocrate. Or l’avènement de la démocratie en URSS impliqua celui de la liberté. Liberté dont usèrent les Etats membres du pacte de Varsovie et à laquelle se référèrent les républiques de l’Union. Dès lors ouverte, la jarre pandorique laissa s’échapper une espérance nouvelle au sein des républiques : celle de briser enfin le carcan idéologique imposé par le communisme d’Etat.


80 - Voulue par Mikhaïl Gorbatchev, cette libéralisation favorisa le désir d’émancipation des Soviétiques qui, en réaction aux décennies de domination russe, prirent rapidement la forme de mouvements nationalistes qui générèrent des conflits ethniques parfois sanglants. Mikhaïl Gorbatchev fut donc confronté à une très forte pression politique visant à le contraindre d’instaurer une plus grande démocratie et une plus importante autonomie pour les républiques de l’URSS. Sur le plan idéologique (philosophique, pourrait-on même dire) cette revendication fut, dès l’année 1986, facilitée par l’émergence, en Lettonie, d’un groupe de défense des droits de l’homme : le CTAG ou Helsinki-86. Directement inspiré par les déclarations des accords d’Helsinki sur les droits de l’homme (1975) ce groupe fut la première organisation ouvertement anticommuniste en URSS. Il fut également la première opposition organisée contre le régime soviétique et servit d’exemple aux mouvements indépendantistes issus d’autres minorités ethniques.


81 - Mikhaïl Gorbatchev fut donc confronté à une problématique polymorphe : une très difficile situation économique, le désir d’indépendance des républiques constitutives de l’URSS, les revendications d’organisations exigeant le respect de la démocratie et des droits de l’homme, les rivalités ethniques entre certaines républiques et la déliquescence du parti communiste de L’Union soviétique (PCUS.) Dans un tel contexte, et sans le soutien d’une dictature du type stalinienne, son échec politique ne pouvait qu’être inévitable. Parmi les nombreuses initiatives prises par Mikhaïl Gorbatchev afin de démocratiser l’URSS, il en est une qui fut particulièrement emblématique. Nous somme le 7 février 1990. Sur sa pressante recommandation, le Comité central du PCUS accepta de renoncer à son monopole sur le pouvoir politique. S’ensuivit, dans les quinze républiques, la tenue d’élections libres auxquelles participèrent plusieurs partis politiques. Les réformateurs et les nationalistes ethniques remportèrent tant de sièges que le PCUS perdit ces élections dans six républiques qui, en conséquence, s’engagèrent sur une voie conduisant inéluctablement à leur indépendance.


82 - Cependant, certains cadres conservateurs du PCUS ne baissèrent pas les bras. C’est ainsi, que le 19 août 1991, ils organisèrent un véritable coup d’Etat en envoyant Mikhaïl Gorbatchev ”en vacances surveillées” à Foros, en Crimée, non sans avoir coupé ses communications avec le reste du pays. Dans le cadre de ce coup de force, fut publié un décret d’urgence suspendant l’activité politique et interdisant la plupart des journaux. Toutefois, faute d’un soutien populaire et grâce à la forte opposition d’Eltsine, c’est seulement trois jours plus tard, le 21 août, que le coup d’Etat s’effondra. Les organisateurs furent arrêtés et Mikhaïl Gorbatchev réintégra son poste de président mais tout en étant politiquement très affaibli.


83 - De toute manière, le destin politique de l’URSS était scellé et c’est durant le dernier trimestre de 1991 que l’Union soviétique s’est effondrée à une vitesse vertigineuse. Juste auparavant, le 24 août 1991, Mikhaïl Gorbatchev dissout le Comité central du PCUS, démissionna de ses fonctions de secrétaire général du parti. Cinq jours plus tard, le Soviet suprême suspendit quasi définitivement toutes les activités du PCUS sur le territoire soviétique. Cette décision mit un terme à la domination communiste en Union soviétique mais, en même temps, provoqua la dissolution de la seule force unificatrice du pays (nous allons voir, très bientôt, que la mort de Tito a provoqué le même effet en Yougoslavie.) Dès lors, il est tout à fait compréhensible que, d’août à décembre, les quinze républiques soviétiques, Russie comprise, firent, soit sécession, ou se contentèrent de dénoncer le Traité de 1922, fondateur de l’URSS. Les choses s’accélérèrent lorsque, le 8 décembre, les dirigeants de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie signèrent les accords de Belaveja. Ces accords proclamèrent la disparition de l’Union soviétique et annoncèrent la formation de la Communauté d’Etats indépendants (CEI) destinée à la remplacer. Mikhaïl Gorbatchev dénonça ces accords en les qualifiant de ”coup d’Etat institutionnel” mais, en raison de son impuissance politique, ne put s’y opposer car, comme le stipula le préambule des Accords : « l’URSS, en tant que sujet de droit international et de réalité géopolitique, cesse d’exister. » Cependant, les accords de Belaveja étaient juridiquement fragiles car ils ne furent signés que par trois républiques. Aussi, c’est le 21 décembre 1991 que les représentants de onze républiques signèrent le Protocole d’Alma-Ata qui confirma la dissolution de l’Union et l’établissement officiel de la CEI. Ironie de l’histoire, ces représentants acceptèrent la ”démission” de Mikhaïl Gorbatchev alors que ce dernier n’avait pas encore annoncé officiellement sa décision de se retirer. Ce sera chose faite le 25 décembre 1991 lorsque Mikhaïl Gorbatchev annonça sa démission du poste de président de l’URSS lors d’un discours télévisé : « J’interromps ainsi mes activités au poste de président de l’Union des républiques socialistes soviétiques. » Au même moment, le Soviet suprême de la RSFS de Russie décida de changer le nom légal de la Russie : « République socialiste fédérative soviétique » qui devint la « Fédération de Russie ». Par une lettre datée du 24 décembre 1991, son successeur, le président de la Russie, Boris Eltsine, informa le Secrétaire général de l’ONU, qu’en vertu du protocole d’Alma-Ata, la Fédération de Russie se substituait à l’URSS. Au terme de consultations auprès des Etats membres de l’ONU, la déclaration fut acceptée et la Fédération de Russie conserva le siège autrefois attribué à l’URSS. La page était tournée...


84 - Après avoir vécu 59 ans, l’URSS vient donc de s’éteindre. Les conséquences géopolitiques de cet évènement majeur, pour l’Europe du XXème siècle (et pour le monde), furent considérables. Parmi celles-ci, et bien qu’antérieurement proclamée à Malte (en 1989) par Mikhaïl Gorbatchev et le président américain George Bush, la fin de la guerre froide est devenue un fait désormais irréversible. Après avoir perdu son glacis de sécurité (suite à la désintégration du pacte de Varsovie), l’ex URSS abandonna également son statut de superpuissance. Dès lors, l’OTAN, (rejointe par trois anciennes républiques soviétiques : l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie), agrandit son aire d’influence en Europe de l’Est. (Notons que ce leadership sera ultérieurement la cause de nouvelles tensions entre l’Est et l’Ouest.) Ajoutons, qu’indépendamment de ces considérations géopolitiques, l’effondrement de l’URSS fut une catastrophe idéologique pour le socialisme et un désastre politique pour le communisme. D’ailleurs, lors de son dernier discours officiel, Mikhaïl Gorbatchev se trouva dans l’obligation d’en convenir : « L’ancien socialisme s’est effondré avant qu’un nouveau, plus humain et plus scientifique, ne soit prêt à fonctionner. » Alors, pourquoi ? Comment clairement expliquer (si cela est possible) cette déliquescence ? Au cours de la rédaction de la section 80, j’ai évoqué la problématique à laquelle fut confronté Mikhaïl Gorbatchev dont voici le rappel : « Une très difficile situation économique, le désir d’indépendance des républiques constitutives de l’URSS, les revendications d’organisations exigeant le respect de la démocratie et des droits de l’homme, les rivalités ethniques entre certaines républiques et la déliquescence du parti communiste de L’Union soviétique (PCUS.) » Ceci étant, et au-delà de cette approche factuelle, est-il possible d’accéder à une généralité plus éclairante ? En d’autres termes, l’effondrement de l’URSS ne fut-il qu’un évènement local ou s’inscrivit-il dans une problématique plus universelle ? Donc, peut-on l’intégrer, sans trahir l’histoire, dans le cadre des évolutions sociaux-politiques de l’espèce humaine, notamment, en Occident ?


85 - Très globalement, la dissolution de l’URSS est analysée de deux manières par les historiens : ”l’intentionalisme” et le ”structuralisme”. Parmi ces deux thèses, la première considère que l’effondrement de l’Union soviétique est essentiellement dû aux décisions politiques prises notamment par Mikhaïl Gorbatchev et, ensuite, par Boris Eltsine. De fait, certains passages de ce texte (notamment ceux consacrés à Mikhaïl Gorbatchev) semblent aller dans ce sens. Quitte à recourir à la force, Mikhaïl Gorbatchev aurait pu s’opposer à la chute du mur de Berlin et à la désintégration du pacte de Varsovie. De même, il aurait pu dresser un rempart du même type afin de préserver l’unité de l’URSS.

Note : En réalité, Mikhaïl Gorbatchev n’est pas resté complètement inactif face aux mouvements indépendantistes qui croissaient de plus en plus rapidement dans les républiques de l’URSS. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le 13 janvier 1991, les troupes soviétiques, soutenues par le groupe ”Alpha du KGB Spetsnaz”, prirent d’assaut la tour de télévision de Vilnius en Lituanie pour réprimer le mouvement indépendantiste très actif dans cette république. Durant cette intervention, quatorze civils furent tués et des centaines d’autres blessés.

Abstraction faite de ces initiatives ponctuelles, l’URSS n’avait plus aucun avenir et était condamnée à disparaître à l’instar de la Russie tsariste de Nicolas II en 1917.


86 - Je ne pense pas que l’on puisse totalement invalider la thèse intentionaliste bien qu’elle m’apparaisse insuffisante pour véritablement expliquer les causes profondes de l’effondrement de l’Union soviétique. En effet, s’il est incontestable que la politique, notamment menée par Mikhaïl Gorbatchev, a conduit à cet effondrement, d’autres causes plus structurelles (d’où l’approche structuraliste, précédemment évoquée) préexistaient. Parmi celles-ci, revenons à l’acte fondateur de l’URSS, le Traité de l’Union des Républiques socialistes soviétiques du 30 décembre 1922. Ce fut un mythe. Celui de l’union volontaire et mutuelle des peuples alliés et politiquement égaux. Union qui fut confrontée à une réalité toute différente vécue au sein de l’URSS. Que ce soit au niveau du pacte de Varsovie ou à celui des républiques constitutives de l’URSS, le communisme d’Etat, issu de la révolution bolchevique d’octobre 1917, s’est avéré incapable de préserver la liberté des peuples concernés. Et, par conséquent, leur dignité. Soumis par la dictature stalinienne puis par celles, adoucies, il est vrai, de Nikita Khrouchtchev et de Léonid Brejnev, les républiques soviétiques n’eurent d’autre choix que de se soumettre. Mais l’incendie couvait et n’attendait qu’une brise favorable pour embraser la fédération. Et, comme nous l’avons vu, c’est Mikhaïl Gorbatchev qui a attisé les premières flammes. Il semblerait donc, (revoir la note de la section 74.), que la servitude de La Boétie ait ses propres limites...


87 - Comme je l’ai précédemment évoqué (section 38), la célèbre réflexion de Rousseau : « Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug, et qu’il le secoue, il fait encore mieux » illustre, de la manière la plus claire, le processus ayant conduit à l’effondrement de l’URSS. Tant qu’ils y sont contraints, les peuples obéissent... même aux dictatures. Mais il arrive un moment ou cette servitude devient à ce point insupportables qu’ils finissent par se révolter. Pour exemples : la révolution française de 1789 ou la révolution bolchevique de 1917. Il s’agit là d’un mécanisme qui relève d’un déterminisme si puissant qu’il a la capacité d’affranchir des peuples pourtant rodés à la servitude. L’URSS de Mikhaïl Gorbatchev, puis celle de Boris Eltsine, n’a pas été épargnée par ce processus qui semble être issu de l’une des lois fondamentales qui régissent les sociétés humaines.


88 - Suite à ce qui précède, je ne peux que rejoindre les thèses structuralistes selon lesquelles la dissolution de l’URSS fut la conséquence inévitable de blocages structurels liés au fonctionnement même du communisme d’Etat. Dirigé d’une main de fer par le ”Soviet suprême de l’union soviétique” (Conseil suprême) et soutenu par une puissante ”nomenklatura” (élite), ce système politique était très fortement centralisé. De fait, le statut constitutionnel de jure du Parti communiste comme parti unique et seul organe dirigeant de l’Etat, interdisait de facto toutes libertés. Et cela, que ce soit dans le domaine associatif, syndical ou toute autre structure indépendante de l’Etat. Le peu de liberté d’opinion et d’expression encore tolérée, l’activité des médias, la liberté de circulation étaient drastiquement surveillées par une très répressive police d’Etat comme en témoigne la surpopulation du ”goulag”. Le même enfermement étouffait également une économie strictement planifiée par l’Etat. N’étaient pas seulement concernés les orientations macro-économiques et le commerce international mais également tous les aspects de la production, de la distribution et de la consommation au mépris, d’ailleurs, des besoins réels de la population. En résumé, et du point de vue structuraliste, les blocages politiques, sociaux et économiques sont consubstantiels au système communiste lequel, finalement, n’a pas besoin du capitalisme pour s’écrouler dès lors qu’il se lance dans l’aventure démocratique. En dépit des injustices qu’il génère, la grande force du capitalisme est de savoir préserver les libertés fondamentales. Vertu, totalement étrangère à son grand rival communiste. Quelque part, le communisme s’apparente à l’utopie de la ”Cité idéale” de Platon ou à l’île de Thomas More. Il souffre d’une prétention : s’affranchir du réel. Ce réel qui, pourtant, s’impose face aux idéaux les plus élevés...


89 - J’ai précédemment évoqué (section 74) ”l’ostalgie” ressentie par beaucoup d’Allemands de l’Est au lendemain de la chute du mur de Berlin. Une nostalgie du même ordre est, (aujourd’hui, encore), un phénomène qui se répandit dans les républiques de l’ex URSS, y compris la Russie, lorsque celles-ci renouèrent avec la liberté. On peut s’interroger sur les raisons de cette nostalgie envers un système socio-politique dont je n’ai eu de cesse, dans ce texte, de dénoncer la nocivité. Je ne pense pas avoir eu complètement tort mais j’ai tout de même essayé de rendre justice à ce système qui n’était pas totalement dépourvu de vertus. A l’appui de cette thèse, j’ai évoqué, entre autres, un discours d’Egon Krentz (section 74) au cours duquel il reconnaissait qu’en RDA : « il y avait du travail pour tous, des logements à bon marché, une santé gratuite et performante... Autant d’acquis qu’ils regrettent (les Allemands de l’Est). » Donc, et tout comme en RDA, les peuples de l’URSS bénéficiaient d’une incontestable sécurité qui leur offrait des perspectives de vie sûre et, par conséquent, les préservait d’une excessive précarité. Cette sécurité se traduisait par celle de l’emploi (qui dépendait de l’Etat et non d’un secteur privé inexistant), de la certitude de pouvoir se loger moyennant des loyers raisonnables, d’une rassurante protection contre la maladie et la garantie d’une retraite, certes modique, mais néanmoins réelle. De ce point de vue, le communisme d’Etat répondait aux attentes légitimes des peuples qu’il administrait. Certes ! Pourrait-on me répondre. Mais, peut-on vivre sereinement sans être libre ? Admettons cette réticence. Seulement, pour vivre libre ne faut-il pas, tout d’abord, vivre ? Le philosophe thomas Hobbes (1588-1679) s’est penché avec lucidité sur cette question. Le moteur de la vie est le ”conatus” ou : l’instinct de conservation ou de survie. Désirer manger, quand on a faim, boire, quand on a soif, dormir, quand on a sommeil ne sont pas des libertés mais seulement des besoins dictés par notre condition naturelle. De son coté, la liberté, que ce soit celle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ou celle de Rousseau « La liberté est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite » n’est donc que l’une des conséquences, sociales et politiques, de la vie des hommes. Donc, vivre d’abord et être libre, ensuite !


90 - Devenus politiquement libres, les peuples de l’ex URSS sont donc entrés dans l’économie de marché. Or, dans la société soviétique qui précéda, on ne trouvait que peu de produits et de services, et encore, pas partout et pas toujours, mais à des prix accessibles en raison de leur modicité. Dans leur nouveau monde économique, ces mêmes peuples trouvèrent de tout, mais à des prix difficilement accessibles, voire, hors de portée. Alors, peu à peu, les plus démunis (ceux, notamment, dont les salaires et les retraites étaient restés au niveau soviétique), finirent par regretter leur ancienne condition en considérant que "c’était mieux avant"... Certes ! l’économie du monde capitaliste est plus performante, plus florissante, que celle des pays socialistes. Mais, qui en bénéficie ? En réalité, le capitalisme est un système qui favorise l’aggravation des véritables facteurs d’insécurité : la précarité économique croissante des plus démunis et le creusement ininterrompu des inégalités sociales. A quand un modèle plus respectueux des valeurs humanistes.... ? En raison de son long passé politique et philosophique, l’Europe est, peut-être, le continent le plus apte à se rapprocher d’une synthèse entre l’idéal humaniste du socialisme et du pragmatisme économique du capitalisme. A la condition, toutefois, qu’elle s’unisse enfin pour le bien commun...


91 - Nous venons de voir, qu’au lendemain de la dislocation de l’URSS, les citoyens de cet Etat ont quitté une dictature politique pour se confronter à celle de l’argent et cela, pas forcément pour leur bien. Comme nous l’avons également constaté, et à la différence de ceux de la Chine, de Cuba ou de la Corée du Nord, le communisme d’Etat de l’URSS s’est éteint. Certes ! Mais qu’elle va être la politique adoptée par la Confédération de Russie qui lui a succédé ? En fait, parallèlement à la nostalgie économique ressentie par beaucoup de Russes, une autre, politique, celle-ci, s’est installée dans l’esprit d’hommes d’Etat comme Boris Eltsine ou Vladimir Poutine. Tous deux ont en mémoire que l’URSS a été une superpuissance. Et que, par conséquent, la Russie nouvelle (qui demeure le plus vaste Etat du monde) est en droit de revendiquer un rang géopolitique, sur la scène internationale qui soit en adéquation avec son récent passé. Toutefois, et bien que ce souhait paraisse politiquement légitime, il se heurta (et se heurte toujours) à une réalité géopolitique qui était loin de lui être favorable. Souvenons-nous, en effet, que le pacte de Varsovie a été dissous en juillet 1991 alors que l’OTAN a poursuivi son expansion notamment en Europe de l’Est et cela, sans que la Fédération de Russie soit en mesure de s’y opposer. Considérée par Moscou comme dangereuse, car perçue comme une tentative d’encerclement, cette situation explique, en partie, l’intervention russe en Ukraine et surtout l’annexion de la Crimée survenue le 16 mars 2014.

Note : Alors que la Crimée était russe depuis la fin du XVIIIe siècle, les raisons ayant poussé Nikita Khrouchtchev à céder cette province à l’Ukraine (par un simple décret en 1954), restent un mystère pour beaucoup d’historiens. On peut donc penser que l’annexion de la Crimée (qui abrite le port stratégique de Sébastopol...) effectuée par Vladimir Poutine a été motivée par son désir d’annuler cette décision et, conséquemment, de revenir au statut antérieur de cette ancienne province tsariste puis, soviétique.


Front en Tchétchénie.

92 - Parallèlement à cette problématique internationale, la Russie dut également faire face à des difficultés intérieures résultant, notamment, du désir d’indépendance manifesté par certaines républiques de la confédération russe.

Note : A l’issue de la dislocation de l’URSS, sept conflits armés (sans compter celui survenu en Tchétchénie), ont eu lieu pour le maintien de l‘influence russe dans l’espace de la confédération. Dans l’ordre chronologique, voici la liste de ces conflits : première guerre d’Ossétie (1991/1992), la guerre du Dniestr en Moldavie (1992), la guerre abkhaze (1998), la guerre en Géorgie (2006), la seconde guerre d’Ossétie (2008), la guerre civile de Crimée et la guerre du Donbass en Ukraine depuis 2014.

C’est ainsi que Moscou fut confronté à l’indépendantisme ”chronique” des Tchétchènes radicalement opposés à la Russie. Les choses s’envenimèrent à un point tel, qu’en 1994, Boris Eltsine se résolut à une intervention militaire directe en Tchétchénie. Loin d’être dépourvue d’arrières pensés politiques (Eltsine voulait prouver à son peuple que la Russie était encore une superpuissance), cette intervention se solda par un cuisant échec militaire. Et, de fait, l’armée russe sortit humiliée de ce conflit qui s’acheva en 1996 (date de l’accord de paix de Khassaviourt), pour reprendre, d’ailleurs, en 1999  : « La toute petite Tchétchénie, déclara même le général russe Guennadi Trochev, a écrasé la grande Russie. »


93 - Non dépourvu d’ambiguïtés, l’accord de paix de Khassaviourt consacra la défaite militaire de la Russie et la reconnaissance de facto (mais non de jure) de l’indépendance de la Tchétchénie qui se concrétisa par le retrait des forces russes de son territoire. Seulement, et en raison des équivoques de cet accord, aucun des deux partis ne parvint à respecter ses engagements. Par ailleurs, et bien que militairement battus, les gradés de l’armée russe n’ont absolument pas accepté leur défaite et les plus jusqu’au-boutistes d’entre eux n’eurent qu’une obsession : obtenir leur revanche. (On peut établir un lien entre l’état d’esprit de ces militaires avec celui de beaucoup de soldats allemands au lendemain du Traité de Versailles signé le 28 juin 1919. On sait qu’elles ont été les dramatiques conséquences de cette attitude pour l’Europe...) De leur coté, les Tchétchènes ont fêté leur fragile victoire en grande de pompe. Seulement, les conséquences humaines (la population sortit de ce conflit quasiment décimée), le territoire quasiment détruit, l’économie dévastée avec un taux de chômage avoisinant les 90% ont projeté la Tchétchénie au bord du gouffre. A cette situation désastreuse est venue se greffer la radicalisation islamique d’une partie des anciens combattants tchétchènes qui s’organisèrent en force d’opposition politique armée. Sans entrer dans les détails, notons que l’intrusion des islamistes dans la politique tchétchène a été une source d’instabilité voire de conflits internes à ce pays.


94 - Les militaires russes obtinrent leur revanche et cela, sans avoir été confrontés à une trop longue attente. Et ce sont les Tchétchènes, eux-mêmes, qui leur ont fourni un prétexte pour ré intervenir militairement en Tchétchénie. Les choses commencèrent en août 1999 lorsque des Islamistes venus de Tchétchénie organisèrent une rébellion armée au Daghestan, république voisine. Parallèlement, une série d’attentats, attribuée aux Tchétchènes, et perpétrée en Russie en août et septembre 1999 (attentats qui ont fait 592 morts et 824 blessés) justifia une ”opération antiterroriste” en Tchétchénie. Evidemment, l’accord de paix de Khassaviourt vola en éclats car, pour Vladimir Poutine, il n’était plus question d’accorder la moindre indépendance aux Tchétchènes dès lors considérés comme des terroristes et des ”bandits”. D’ailleurs une célèbre déclaration du dirigeant russe fut des plus explicite : « On poursuivra les terroristes partout, dans les aéroports et, excusez-moi, mais, s’il le faut, on les attrapera dans les toilettes, on les butera jusque dans les chiottes. La question est close. » De fait, et même si un Talleyrand avait vécu en Tchétchénie, toute négociation paraissait bien compromise... Le 6 février 2000, la prise de Grozny par l’armée russe mit un terme théorique à ce deuxième conflit. Théorique, car des opérations militaires perdurèrent jusqu’au 16 avril 2009. Cette guerre se solda par ”l’extermination partielle” du peuple tchétchène (les deux guerres de Tchétchénie auraient coûté la vie à 175000 civils, soit 15% de la population de cette république) et par la réinsertion de la Tchétchénie dans la fédération de Russie. Pour beaucoup d’historiens, ce conflit fut le plus violent qu’aient connu l’Europe et l’URSS depuis la Seconde Guerre mondiale. (Si l’on excepte les guerres de Yougoslavie (entre 1991 et 2001) cet avis paraît être tout à fait recevable.)


95 - J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer une citation de Churchill selon laquelle : « Un peuple qui oublie son histoire est condamné à la revivre. » Il semblerait que Vladimir Poutine se soit inspiré de cette réflexion. En effet, nous avons vu que la dislocation de l’URSS fut provoquée, en grande partie, par la sécession de ses républiques. Et, finalement, la fédération de Russie, composée, elle aussi, de quelques républiques, n’encourait-elle pas un risque du même ordre ? Car, Accorder à la Tchétchénie le droit d’être indépendante ne serait-il pas revenu à revivre un scénario politique identique à celui vécu par l’URSS ? On peut, en effet, imaginer que cette sécession, de facto, aurait put être suivie par celles d’autres républiques. On peut également supposer que cette problématique ne fut pas absente lors des décisions politiques et militaires prises par Poutine. Si cette hypothèse est exacte, elle peut expliquer les guerres de Tchétchénie et, d’une manière plus générale, la politique menée par le dirigeant russe.

Note : Je comprendrais aisément que l’on puisse être surpris par le nombre de pages de cet article consacrées à l’histoire de l’URSS. Cependant, et selon moi, cette option est justifiée par l’importance historique de la politique menée par les dirigeants de ce pays envers l’ensemble de l’Europe. En effet, et durant 46 ans, ce sont les positions politiques (et militaires) de cet Etat qui ont conditionné le destin de notre vieux continent. Aussi, peut-on se demander ce qu’il serait, aujourd’hui, si le cours de l’histoire avait été différent. Donc, et toujours selon moi, on ne peut véritablement comprendre l’histoire de l’Europe, notamment durant cette période, si l’on  néglige celle de son principal acteur : l’URSS. Acteur dont les difficultés politiques auxquelles il a été confronté illustrent celles qui freinent depuis 70 ans la construction européenne en raison de causes identiques : les disparités ethniques, historiques et culturelles qui divisent les Etats européens dont, de surcroît, les langues sont différentes.


Les sept états issus de l'ex-Yougoslavie.

96 – Je ne saurais mettre un terme à ce texte sans évoquer les terribles conflits (ethniques et, dans une moindre mesure, religieux) survenus entre 1991 et 2001 au sein de la Yougoslavie et qui s’achevèrent par la dislocation définitive de cet Etat. Je viens d’évoquer le terme : ”dislocation”. Terme qui nous ramène inévitablement à celle qui provoqua la disparition de l’URSS en 1991. Tout comme ce dernier pays, mais d’une ampleur bien moindre, la Yougoslavie était également une fédération de républiques unies par la volonté de Josip Broz (plus connu sous le nom de Tito), au sein d’un Etat unique.

Note : Les Etats constitutifs de l’ex Yougoslavie sont les suivants : Serbie, Croatie, Bosnie, Monténégro, Albanie et Slovénie. (Le Kosovo n’était pas un Etat mais seulement une province de la Serbie.)

Dès son arrivée au pouvoir, en mai 1945, Tito mit en place un régime communiste qui, toutefois, restera indépendant de Moscou suite à la rupture survenue avec Staline en 1948. Bien que les différentes républiques de cet Etat bénéficiaient d’une certaine autonomie, notamment administrative, le centre du pouvoir se trouvait à Belgrade (capitale de la Serbie). qui, dès lors, assurait le lien entre les différentes pièces de cette mosaïque ethnique, culturelle et religieuse. C’est ainsi que la Croatie, catholique, abritait une importante minorité serbe orthodoxe. La Serbie, orthodoxe, peuplée essentiellement de Serbes, comportait, néanmoins, des minorités musulmanes, catholiques, hongroise et albanaise (au Kosovo.) De son coté, la Bosnie était partagée entre Bosniaques (48%), Serbes (37%) et Croates (13%).


97 - En réalité, et dès sa création par les vainqueurs de la Première Guerre Mondiale, (sur les ruines de l’empire austro-hongrois), la Yougoslavie fut un Etat artificiel visant à unifier les slaves du sud. Essentielle, cette origine multiethnique explique, quasiment à elle seule, les conflits qui vont surgir dès la mort de Tito, le 4 mai 1980. En effet, et alors que Tito dirigeait la fédération d’une main de fer, le gouvernement qui va lui succéder est assuré par une présidence tournante entre chaque république, par mandat d’une seule année. Source d’instabilité politique, cette gouvernance va être propice à des revendications d’indépendance formulées, par exemple, par les Albanais installés au Kosovo et cela, dès 1981. C’est dans ce contexte troublé, qu’en 1986, Slobodan Milosevic prend à la tête de la Ligue des communistes de Serbie. Nationaliste convaincu, il réanime les vielles idées panserbes qui ambitionnaient de regrouper toutes les minorités serbes dans un territoire unique : la Grande Serbie. (On peut rapprocher cette ambition de l’irrédentisme italien ou le pangermanisme d’Hitler.) Animé par cet ”impérialisme ethnique”, il réprime violemment les agitations albanaises du Kosovo. Plus inquiétant encore pour l’avenir de la Yougoslavie, il soutient activement les manifestations des minorités serbes en Croatie et en Bosnie. Bref, en activant les braises du nationalisme serbe, il exacerbe les tensions inter-ethniques qui n’attendaient que cela pour se muer en un incendie dévastateur pour les peuples de Yougoslavie.


98 – La dislocation effective de la Yougoslavie commence le 25 juin 1991 avec la déclaration d’indépendance formulée par la Slovénie. Le même jour, survient celle de la Croatie dirigée par Tudjman. Prise de court, Belgrade réagit en envoyant des troupes fédérales (la JNA) en Slovénie. C’est ainsi que débuta une série de conflits meurtriers qui va durer 10 ans.

Note : Sous l’ère Tito, la défense intérieure de la Yougoslavie était bicéphale. Le pouvoir central (sis à Belgrade) disposait de la JNA (armée fédérale) constituée par des contingents issus de chaque république. Parallèlement, ces républiques disposaient d’une défense territoriale propre (sorte de police) nettement moins bien armée et entraînée que la JNA. Cependant, et en dépit de sa supériorité militaire, la JNA avait un talon d’Achille : à l’instar des républiques de la fédération yougoslave, elle était multiethnique. Pour le moins hétérogène, cette composition explique le grand nombre de désertions de soldats appartenant à telle ou telle ethnie en guerre contre Belgrade. Ce fut notamment le cas lorsque la JNA entra en campagne contre la Slovénie ce qui provoqua la désertion de nombreux soldats slovènes.

Non décidée pour des raisons ethniques (la Slovénie comportait plus de 80% de Slovènes), mais dans le souci de ne pas déstabiliser la Yougoslavie, l’intervention militaire de Belgrade en Slovénie se solda par un cuisant échec. Ce revers fut concrétisé, le 7 juillet, par les accords de Brioni qui officialisèrent l’existence d’un Etat slovène indépendant. Cet Etat sera reconnu par l’Europe en janvier 1992 et rejoindra l’ONU en mai de la même année.


99 – Slobodan Milosevic vient donc de perdre la Slovénie. Si l’on ajoute la sécession de la Croatie, on peut dire que le rêve d’une Grande Serbie vient de voler en éclat. Seulement, Milosevic n’a pas dit son dernier mot ! Certes ! Les augures ne sont pas très favorables mais il est encore temps, pour lui, de se recentrer sur le nationalisme serbe et, pas conséquent, de regrouper tous les Serbes dans un seul Etat. Cette politique d’un autre temps va déboucher sur un conflit autrement plus violent en Croatie.


100 – Comparé à celui de la Slovénie, le contexte ethnique de la Croatie était très différent. En effet, la Slovénie ne comportait pratiquement pas de minorité serbe alors que la Croatie en abritait une très importante. La crainte de cette minorité de se retrouver désavantagée dans une Croatie indépendante l’incita à tenter une sécession visant à la rattacher à la Serbie. Comme l’on peut s’en douter, Milosevic ne manqua d’apporter son soutien à cette tentative. Attitude politique qui va générer de très vives tensions avec le gouvernement de Zagreb (capitale de la Croatie) dirigé par Franjo Tudjman.

Note : Avant de poursuivre, il me semble de la plus haute importance d’évoquer la rivalité, à la fois politique et idéologique, ayant opposé Serbes et Croates durant la deuxième guerre mondiale. C’est en effet au cours du printemps 1941, qu’au terme de l’invasion de la Yougoslavie par les troupes hitlériennes, les nazis accordèrent aux oustachis croates (insurgés) le gouvernement d’un nouvel Etat : l’Etat indépendant croate qui rejoint l’Axe Rome-Berlin-Tokyo le 15 juin 1941. Ce mouvement séparatiste croate s’est distingué par son antisémitisme, son fascisme et son aversion envers la Yougoslavie et, plus particulièrement, envers les Serbes. Cette aversion se traduisit, notamment, par de nombreux massacres des populations serbes. Difficiles à oublier par les Serbes, ces exactions suggérèrent à Tito d’amalgamer oustachisme, nationalisme croate et fascisme hitlérien alors que, lui, avait combattu les Allemands. Pour note, cette bipolarité entre Serbes et Croates explique la position, pour le moins ambiguë, de la France de Jacques Chirac envers la Serbie durant les guerres qu’elle mena en Croatie, en Bosnie et au Kosovo.

En réalité, la Serbie avait dépêché des troupes de la JNA à la fois en Slovénie et en Croatie. Seulement, sous la pression de l’Union européenne qui menaçait de reconnaître les deux nouveaux Etats, la Serbie, (et à la suite des accords de Brioni), accepta de retirer ses troupes du territoire slovène. Par contre, celles stationnées en Croatie refusèrent de se retirer. Dès lors, la guerre entre les troupes de la JNA, alliées aux séparatistes serbes, et les forces croates était devenue inévitable. Constatant l’ampleur prise par les combats entre les belligérants, l’opinion internationale pris enfin conscience qu’une vraie guerre allait embraser la Yougoslavie. C’est pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU vota, le 21 février 1992, le déploiement de 14000 Casques bleus en Croatie, pour la plupart, français et anglais. Lesquels, finalement, ne vont pas servir à grand chose. Mais, nous y reviendrons bientôt.


101 – C’est en mars 1992, qu’à son tour, la Bosnie-Herzégovine déclara son indépendance reconnue par les Etats-Unis en avril 1992 et par l’ONU en mai 1992. Seulement, cette reconnaissance internationale n’empêcha pas le conflit avec la Serbie de s’étendre. Cette nouvelle guerre débuta en avril 1992 par le siège de Sarajevo. L’horreur des massacres liés au ”nettoyage ethnique”, essentiellement pratiqué par les Serbes, provoqua un exode massif de la population et 200 000 victimes. Intervenant pour la deuxième fois, l’ONU dépêcha sur le terrain des Casques bleus (FORPRONU) missionnés afin de maintenir la paix tout en accomplissant une mission humanitaire auprès des populations civiles. Seulement, cette force, majoritairement composée de Britanniques et de Français, se heurta à l’ambiguïté de son statut : l’ONU l’avait-elle mandatée sous le couvert du Chapitre VI de sa Charte (revoir la section 21) ou sous celui du Chapitre VII ? (Souvenons-nous de ce qui s’est passé durant la guerre du Rwanda...) En tout cas, les Serbes ne furent guère impressionnés par la FORPRONU (jusqu’à ce que l’OTAN intervienne directement) et cela, à un point tel, qu’ils menacèrent même les zones de sécurité contrôlées par l’ONU.


102 – Le point culminant de la barbarie imputable aux Serbes fut atteint, en juillet 1995, lors du massacre de Srebrenica sise en Bosnie-Herzégovine. Commandées par le général Ratko Mladic, des unités de la République serbe de Bosnie et soutenues par une unité paramilitaire de Serbie encerclèrent la ville et massacrèrent plus de 8000 hommes et adolescents bosniaques (musulmans), tous civils.

Note : Comme nous allons le voir très bientôt, c’est à la suite des accords de Dayton, signés le 14 décembre 1995, par le bosniaque Izetbegovic, le croate Tudjman et le serbe Milosevic que la Bosnie-Herzégovine devient une confédération comportant deux entités : la Fédération croato-bosniaque (65% de la population) et la République serbe de Bosnie (35% de la population.) Ceci étant, cette dernière existait déjà, de facto, lors des massacres de Srebrenica.

En fait, dès le début de la guerre de Bosnie, Srebrenica fut l’objet de nombreux affrontements entre Serbes et Bosniaques. Et cela à un point tel que l’ONU déploya 400 à 600 Casques bleus, français et néerlandais, autour de la ville afin d’assurer la sécurité des civils. Toutefois, ces casques bleus n’ont pas été en mesure de les protéger comme ils auraient du le faire, notamment en raison du refus formulé par le général français Bernard Janvier d’apporter un indispensable soutien aérien en faveur des Néerlandais. Ce désastre humanitaire résultant du massacre de Srebrenica s’est produit alors que des opérations de l’ONU étaient en cours. Comme lors du génocide rwandais, les Casques bleus présents sur place ne sont pas intervenus pour s’interposer ou stopper les exactions dont ils étaient les témoins passifs. Qu’elles que furent les raisons de cette incurie (recours au Chapitre VI de la Charte de l’ONU au lieu du Chapitre VII, par exemple) ces évènements ont démontré l’impuissance de l’ONU en matière de maintient de la paix et de protection des populations civiles.

Note : Un évènement des plus emblématique illustre cette faillite, à la fois humaine et militaire, de l’ONU. Nous sommes aux environs du mois de mai 1995. La pression serbe sur Srebrenica s’accentue de jour en jour et cela, en dépit des frappes aériennes menées par l’OTAN qui, mandatée par l’ONU sous Chapitre VII de sa Charte, est intervenue en Bosnie. C’est à ce moment que le général français Bernard Janvier, qui commande la FORPRONU, considère que Srebrenica est indéfendable et, conséquemment, préconise l’évacuation de ses hommes présents sur ses abords. Les Serbes qui assiègent la ville n’attendaient que cela. Ils prennent les Casques bleus en otage et menacent de les exposer aux bombardements de l’OTAN. Comble du renoncement, les représentants de l’ONU négocient leur libération en contrepartie de l’arrêt des frappes aériennes ! Aussitôt, les Serbes emmenés par Ratko Mladic prennent d’assaut la ville et commencent, en toute impunité, le massacre de ses habitants.


103 – Mandatée par l’ONU, sous le couvert du Chapitre VII de sa Charte, l’intervention, surtout aérienne, de l’OTAN parviendra tout de même à stopper la politique meurtrière du serbe Milosevic. Confronté à des bombardements massifs organisés par l’OTAN, il n’aura d’autre choix que de négocier la paix en Bosnie-Herzégovine. C’est ainsi que des accords, négociés aux Etats-Unis, près de Dayton, mais signés, à Paris, le 14 décembre 1995, par le Bosniaque Izetbegovic, le Croate Tudjman et le Serbe Milosevic ainsi que le négociateur américain, assisté de Christopher Hill, mirent un terme aux combats interethniques qui ravageaient la Bosnie-Herzégovine depuis trois ans. Comme je l’ai précédemment indiqué, ces accords ont officialisé la bi-partition, à peu près égale, de la Bosnie-Herzégovine entre la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (croato-bosniaque) et la République serbe de Bosnie (serbe), accompagné du déploiement d’une force de paix internationale : l’IFOR. Bien que signés à Paris, ces accords sont passés à l’histoire sous le nom ”d’accords de Dayton”. Pour les habitants de l’ex Bosnie-Herzégovine, le cauchemar était terminé...


104 – Le dernier conflit qui va parachever la totale dislocation de la Yougoslavie survient dans la province serbe du Kosovo. Comme toujours dans la ”poudrière des Balkans”, la cohabitation entre des communautés hétérogènes fut compliquée et génératrice de conflits interethniques. Aussi, ne peut-on être surpris que les Serbes et Albanais de la province du Kosovo se soient entredéchirés afin d’établir un leadership des uns sur les autres. Concernant spécifiquement le Kosovo, les conflits entre les deux communautés ont pour origine leurs convictions respectives d’être les seuls occupants historiquement légitimes de cette région. Si, dans le cadre de ce texte, il n’est pas possible, de confronter les deux positions disons, cependant, que l’une et l’autre relèvent de deux mythes fondateurs mis au service de propagandes aussi tenaces que nocives.


105 – C’est au lendemain de la Première Guerre mondiale que le Kosovo fut intégré au royaume de Serbie et, cela, en dépit de la forte opposition des Albanais (majoritaires en terme de population) qui se révoltèrent jusqu’en 1924. Durant la Seconde Guerre mondiale, cette province fut rattachée à l’Albanie fasciste inféodée à l’Italie mussolinienne. Au terme de cette guerre, le Kosovo fut, une nouvelle fois, intégré à la Yougoslavie au titre de province de Serbie bien que la communauté albanaise persistait à réclamer le statut de république du Kosovo. En mars 1989, la politique menée par Milosevic, qui visa à réduire drastiquement le statut d’autonomie du Kosovo, provoqua une nouvelle révolte des Albanais qui va aboutir à une véritable guerre contre la Serbie.


106 – Au lendemain de la création de l’Armée de libération du Kosovo (en abrégé : UÇK), le conflit avec la Serbie débute en 1996. En mars 1997, un évènement majeur survient en Albanie : l’effondrement de son gouvernement à la suite de graves problèmes financiers. Plongé dans le chaos, ce pays ne put s’opposer au pillage de ses arsenaux dont les armes aboutirent entre les mains de l’UÇK. Cet important apport d’armes permit à l’UÇK de livrer aux autorités serbes une véritable guerre d’indépendance. Parallèlement aux affrontements qui s’ensuivirent, les Serbes procédèrent à l’expulsion de plusieurs centaines de milliers d’Albanais du Kosovo vers la Macédoine et l’Albanie. Plusieurs centaines de milliers d’autres Albanais furent déplacés à l’intérieur de leur propre pays. A la suite de rumeurs accusant la Serbie de suivre un plan d’épuration ethnique de grande ampleur (rumeurs qui, malgré les apparences, seront démenties, plus tard), l’OTAN décida d’intervenir militairement au Kosovo mais sans aucun mandat de l’ONU. Initialement prévus pour une durée de 3 ou 4 jours, les bombardements de l’OTAN contre des cibles serbes durèrent, en réalité, 78 jours. On peut supposer que ces bombardements ne furent pas complètement inutiles car Milosevic finit par accepter un cessez-le-feu signé le 9 juin 1999. La guerre du Kosovo venait de s’achever. Jouissant, désormais, d’une paix relative (200 000 Serbes, Tziganes et non-Albanais ont été contraints à l’exil après la fin de la guerre), le Kosovo fut placé sous l’administration de la Mission intérimaire des Nations-Unies au Kosovo en vertu de la résolution 1244 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU. C’est le 17 février 2008 que le Kosovo proclame unilatéralement son indépendance de la Serbie. Le nouvel Etat est reconnu par 76 Etats (dont les Etats-Unis) et 22 pays de l’Union européenne (au 18 juin 2011.) De l’ex Yougoslavie de Tito, n’a survécue que la République fédérative de Yougoslavie...


107 – Nous voici parvenus à la fin de ces aperçus historiques concernant l’Europe d’après-guerre. Période qui fut dominée par un long conflit géopolitique entre l’Est et l’Ouest ou, plus précisément, par le rapport de force entre l’URSS et les Etats-Unis ou, encore, par celui qui opposa l’OTAN au Pacte de Varsovie. Par bonheur pour les peuples européens, cette confrontation n’a pas évolué vers un conflit généralisé en raison, sans doute, de la sagesse politique des dirigeants impliqués dans cette dangereuse problématique. Durant cette période, l’Europe s’est reconstruite et, surtout, a jeté les bases de son union future dont le dernier acte juridique fut le Traité de Lisbonne ratifié en 2009. Depuis la fin des conflits ayant ensanglanté la Yougoslave et la Tchétchénie, l’Europe vit enfin en paix et s’efforce de surmonter ses divergences dans le cadre de ses institutions et non plus, comme jadis, par la guerre. Saluons ensemble, chère lectrice, cher lecteur, cette concorde, si espérée par les peuples européens, à laquelle nous devons le bonheur de vivre en paix...


Avec toute ma reconnaissance à Mademoiselle Béatrice Bouvier pour ses conseils éclairés et mes sincères remerciements à Monsieur Christian Duvielbourg qui gère ce site avec amitié et talent.


P. Perrin



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