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PHILOSOPHIE POLITIQUE (II) : LA NAISSANCE DE LA DEMOCRATIE À ATHÈNES

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Philosophie politique.
La naissance de la démocratie à Athènes.
Patrick Perrin

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II/IV LA NAISSANCE DE LA DEMOCRATIE À ATHÈNES



Assemblée nationale1- Étymologiquement, et historiquement, d’ailleurs, la politique (du grec polis ou cité) désigne l’organisation de la cité. Elle détermine donc les modes de fonctionnement de la société en fonction, dans le meilleurs des cas, de l’intérêt de tous. Jusqu’à aujourd’hui, et d’une manière générale, c’est la politique qui définit la forme de l’état en organisant les différents pouvoirs publics et, surtout, en veillant à ce que ces pouvoirs n’excèdent pas le champ de leurs compétences respectives. Elle répond à une question fondamentale à laquelle tous les hommes sont confrontés : comment vivre ensemble ? En tentant de résoudre cette épineuse question, elle assure la transition entre l’état de nature et l’état de culture ou, si l’on préfère, l’abandon de la loi du plus fort au profit de la protection des plus faibles (à la condition, cependant, que le pouvoir ne soit pas exercé par un dictateur ou un tyran sanguinaire.) Dans les états évolués, elle dispose d’un bras séculier reconnu pas tous : le droit qui rassemble les lois. C’est en effet le droit qui permet la cohabitation entre les égoïsmes qui caractérisent la plupart des comportements humains. Le droit détermine et délimite la liberté impartie à chacun en veillant à ce que celle de l’un ne nuise pas à celle de l’autre. Considéré juridiquement, il est censé garantir la sécurité de chacun ainsi que de préserver ses biens. De la sorte, et lorsqu’elle est bien conduite, la politique permet aux hommes d’assurer la maîtrise de leur destin, de ne pas vivre dans la servitude et de définir le type de société dans laquelle ils évoluent. Elle est sans doute l’une des plus belles acquisitions de l’humanité et l’un des moyens les plus surs d’assurer sa survie et donc son avenir. C’est pourquoi la politique, en tant que réflexion sur la condition humaine, doit être soigneusement distinguée de ceux qui l’exercent. En effet, si certains d’entre eux ne sont pas dignes d’exercer sa pratique, cela ne veut pas dire qu’elle soit nocive. Bien au contraire, sans elle, la vie ensemble serait régie par l’arbitraire ou, pis encore, la barbarie.


2- Bien évidemment, la politique telle que nous la connaissons aujourd’hui est l’aboutissement d’une longue évolution amorcée, pour nous, occidentaux, dès l’Antiquité. Elle a été façonnée à la fois par des politiciens, au sens strict du terme, et par des penseurs qui n’ont cessé de s’interroger sur les conditions devant être réunies afin de pouvoir vivre ensemble sans se nuire. Tout comme la philosophie est née au lendemain de la rupture entre le mythos et le logos (croyances et parole), la politique résulte du combat mené contre l’arbitraire clanique au profit de la justice et de la liberté. En effet, et avant la promulgation des lois dites « draconiennes » (dues à Dracon : ~621 av. J.C.), la cité grecque reposait sur un système clanique (le génos) qui régnait sans partage. Cette forme primitive d’organisation sociale s’appuyait sur des clans patriarcaux dirigés par des chefs incontestés (les ancêtres les plus âgés) qui avaient le droit de vie et de mort sur tous les membres du clan et qui tenaient en même temps le rôle de chefs religieux. Les clans avaient la possibilité de se regrouper en phratries lesquelles, à leur tour, constituaient des tribus dont l’ensemble des membres se nommait : le dèmos ou : peuple. (Pour note, le dèmos, en tant que préfixe, est à l’origine du mot « démocratie. ») A ce stade, il n’existait pas de règles juridiques précises mais seulement un ensemble de coutumes remontant le plus souvent à un lointain passé. Toutefois, des embryons de justice régissaient, malgré tout, l’organisation des clans. C’est ainsi qu’à l’intérieur du clan, la justice familiale en usage fut progressivement remplacée par une justice plus soucieuse de l’intérêt général et donc de celui du dèmos. Indépendamment de ce droit « intra-clanique », il existait également un droit tribal dont la vocation juridique consistait à régler les conflits surgis entre des clans. Un système de compensation, le rachat par le prix du sang, par exemple, remplaça, peu à peu, d’interminables vendettas entretenues entre des familles rivales ou ennemies. Pour finir, une certaine forme d’opinion publique, la phèmis, permettait au dèmos d’exprimer son désaccord avec un chef ou un clan.


3- Initialement constituée de clans et de tribus, la cité du faire face à d’incessants conflits internes qui opposaient tantôt les nobles et le démos ou, encore, les grandes familles entre elles. Peu à peu, la résolution de ces luttes fut confiée, non pas au chef du clan dominant (le roi), mais aux chefs de tous les clans réunis dans un conseil. (A Athènes, ce conseil fut nommé : la boulè.) De son coté, le peuple (le dèmos) se réunissait sur une place publique (l’agora d’Athènes, par exemple) mais ne disposait, du moins au début, d’aucun pouvoir. Le pouvoir politique était donc exercé par une noblesse de grands propriétaires terriens dont le petit nombre constituait une aristocratie (aristos : excellent et kratos : pouvoir) ou, autrement dit, le pouvoir des meilleurs. C’est vers la fin du VIII siècle av. J.C. que ce système se heurta à la fois aux petits chefs de clans et à des hommes enrichis soit par la guerre ou par le commerce. Dès lors, le pouvoir changea de nature : d’aristocratique il devint oligarchique (ou pouvoir du petit nombre.) C’est dans ce contexte, et dans le cadre d’une grave crise sociale, qu’Athènes faillit sombrer dans la tyrannie à la suite d’une tentative due à Cylon (- 632.) L’échec de ce véritable coup d’état et les troubles qui s’ensuivirent provoquèrent une sensible évolution de la cité athénienne. C’est ainsi qu’en – 621, le législateur athénien Dracon fut chargé d’élaborer une nouvelle législation qui institua un droit écrit destiné à se substituer au droit coutumier. Bien qu’il ne reste que le texte d’une seule de ses lois, sensiblement amputée, d’ailleurs, la législation draconienne est réputée pour sa dureté. Son code, nous rapporte la tradition, était écrit « non avec de l’encre, mais avec du sang. » Ceci étant, il ne faudrait pas penser que Dracon fut un tyran sanguinaire. Son intransigeance politique s’explique très bien dans la mesure ou l’on sait que ses lois furent élaborées dans le but de restreindre la toute puissance clanique qui régnait encore. Pour exemple, il remplaça la « vendetta » (ou vengeance privée) par l’arbitrage de l’Etat afin de « civiliser » une société par ailleurs déchirée par d’innombrables conflits internes (nous verrons bientôt les solutions proposées par Platon.) Or, pour être efficaces, les réformes promulguées par Dracon, qui remettaient notamment en cause le droit familial, devaient être aussi impitoyables que l’étaient les coutumes de l’époque. En bref, il substitua un droit écrit à la coutume et imposa l’autorité des tribunaux à la place de la vengeance privée.


4- Cependant, et pour aussi radicales qu’elles fussent, les lois draconiennes n’avaient point entamé la puissance foncière de l’aristocratie. Par ailleurs, et croulant sous les dettes, de petits propriétaires se retrouvèrent réduits au servage et même, pour certains d’entre eux, à l’esclavage. Devant l’ampleur des troubles sociaux qui en découlèrent, l’archonte athénien (magistrat nommé par le conseil) Solon (en – 594) fut recruté afin de trouver une solution à la révolte des pauvres contre les riches ; révolte qui concernait l’abolition des dettes et une juste redistribution des terres. Mettant en oeuvre sa en oeuvre seisachteia (ou : rejet du fardeau), Solon décréta l’annulation des dettes et le rachat des esclaves. Par ailleurs, il prit de nombreuses mesures en matière économique et réforma la constitution afin de remplacer le privilège de la naissance par celui de la fortune. En fait, il favorisa l’émancipation de l’individu par rapport au clan et instaura l’habeas corpus (garantie des libertés individuelles et protection contre les arrestations arbitraires.) Toutefois, Solon refusa catégoriquement de distribuer les biens de la noblesse. La modicité des ressources ; causes premières des dettes, perdura donc. Cela explique, d’ailleurs, que le bilan de sa politique ait été des plus mitigé. En effet, en n’ayant pas résolu les problèmes des pauvres et en ayant imposé de lourds sacrifices aux riches, il mécontenta tout le monde. Ceci étant, ses réformes facilitèrent en leur temps le lent cheminement vers la démocratie.


5- Comme nous venons de le voir, les réformes de Solon n’étaient pas parvenues à mettre un terme aux nombreux troubles sociaux. C’est dans ce contexte, et vers – 561, qu’intervint un homme d’état, par ailleurs parent de Solon : Pisistrate. Ayant exploité avec talent les luttes politiques internes à la cité, il regroupa et s’appuya sur tous ceux que les réformes de Solon avaient déçu pour se décréter tyran. Bien que son pouvoir fut longtemps contesté (il subit deux exils), il réussit malgré tout à s’imposer et, assez paradoxalement, ce ne fut pas pour le malheur d’Athènes ni des athéniens. Bien qu’à l’instar de tous les tyrans, il fut un ennemi de l’aristocratie, il se garda bien de l’anéantir. Il se contenta de lui ôter sa main mise sur l’état et d’exiler bon nombre de ses membres tout en leur laissant, cependant, une chance de revenir dans la cité. Il en appela même certains aux plus hautes fonctions comme, par exemple, le futur législateur Clisthène. Parmi ses nombreuses réformes, il éradiqua la prépondérance nobiliaire et affranchit les paysans de l’influence des grandes familles et, parachevant ainsi la réforme agraire de Solon, il leur distribua les biens confisqués à ses adversaires. Sur le plan strictement politique, il conserva la constitution de Solon tout en se réservant le droit de nommer aux plus hautes magistratures des hommes qu’il avait personnellement choisis. Bien que son pouvoir fut absolu, il eut le mérite de l’exercer pour faire régner la paix et le développement de la cité. Vis à vis des autres cités, il sut animer une habile diplomatie qui préserva la paix tout en assurant le rôle prépondérant d’Athènes et en préparant son expansion future. Toujours dans ce domaine (que l’on peut qualifier de politique extérieure), il eut la sagesse de créer des alliances avec les autres tyrans et, surtout, de ne pas se brouiller avec Sparte, la grande ennemie d’Athènes. En bref, il sut rétablir la paix sociale et s’attirer, par-là même, la sympathie des athéniens. D’ailleurs, son règne fut qualifié de la « vie sous Cronos » ou « l’âge d’or.  » C’est sous sa tyrannie qu’Athènes sortit des innombrables crises du passé pour s’engager résolument vers sa grandeur future. Après la mort de Pisistrate, en – 528, ses fils Hippias et Hipparque lui succédèrent. Mais, tant pour des raisons économiques que diplomatiques, leur situation se dégrada d’autant que l’aristocratie, toujours revancharde, s’acharna contre eux. Après un complot ourdi par l’aristocratie, au terme duquel seul Hippias survécut, le régime se radicalisa à un point tel qu’une coalition formée des aristocrates et des démocrates se retourna contre lui. De leur coté, les émigrés se tournèrent vers Sparte qui, en – 510, contraint Hippias à s’exiler. Cet exil marqua la fin de la tyrannie à Athènes.


6- La disparition de ce régime politique n’apaisa pas les rivalités entre les vainqueurs et n’empêcha pas non plus l’intervention de Sparte en faveur de l’oligarchie. Toutefois, le démos réussit à imposer l’Alcméonide Clisthène (élevé au rang d’archonte par Pisistrate) qui, aussitôt, effectua une réforme radicale de la constitution. (Pour note, les Alcméonides constituaient un génos parvenu à l’archontat dès le VII av. J.C. Ce clan joua un très grand rôle durant la période dite « archaïque » (VII/VI av. J.C.) Les Alcméonides se distinguèrent par leur singularité politique. En effet, et bien qu’issus de l’aristocratie, ils manifestèrent toujours une certaine hostilité envers cette caste.) Parmi les réformes mises en place par Clisthène, nous pouvons noter un nouveau découpage administratif qui consista à diviser le pays en 140 dèmes (villages) qui constituèrent, dès lors, autant d’unités politiques élémentaires. Tout comme les clans avaient été auparavant regroupés en tribus, les dèmes furent répartis en en 10 phulai ou, 10 tribus dirigées, comme toujours, par des familles nobles. On attribue également à Clisthène la création d’une boulè populaire (conseil) de 500 bouleutes dont le mode de recrutement est incertain. Bien que ces réformes, tant celles de Solon, Pisistrate et Clisthène, préfigurent une société plus juste (plus égalitaire, dirions-nous aujourd’hui), elles n’ont pas instauré une véritable démocratie. En effet, une telle évolution ne pouvait être qu’impensable dans une société dominée par la noblesse. Toutefois, en achevant l’œuvre de Solon, Clisthène a pourvu Athènes de sa constitution quasi définitive et lui a fait accomplir les pas décisifs conduisant à la démocratie.


7- C’est en – 462, et contre l’avis des conservateurs, que le démocrate Ephialtès décida d’attribuer le pouvoir des propriétaires fonciers à tous les citoyens. Pour ce faire, il dut réduire celui de l’aréopage (crée vers – 500, cette assemblée de stratèges était aux mains des citoyens les plus riches) dont l’influence politique s’étendait à tous les domaines. Au terme de moult manœuvres destinées à ternir l’image de l’aréopage, Ephialtès parvint à lui ôter ses pouvoirs politiques afin de les répartir entre les organismes démocratiques de la constitution : Assemblée, Conseils et tribunaux. Lorsque son grand rival conservateur, Cimon, tenta d’annuler cette très importante réforme, il fut ostracisé en - 461 (contraint à l’exil.) Peu de temps après, Ephialtès fut assassiné. Cependant, sa disparition n’eut aucune conséquence sur ses réformes poursuivies par Périclès qui lui succéda. Comme l’illustre l’œuvre des grands législateurs pré cités, la finalité politique de l’époque consista à démocratiser le pouvoir. D’un certain point de vue, il s’est agit de « moraliser » les institutions au profit d’un nombre croissant de citoyens. Bien évidemment, nous sommes encore loin de la démocratie représentative (où le peuple gouverne par l’intermédiaire de représentants élus ou désignés) que nous connaissons aujourd’hui. Cependant, ces réformes, amorcées dès le VIII siècle, ont tracé le chemin y conduisant..


8- La quasi totalité du V siècle est marquée par l’action de l’un des plus grands hommes politiques que la Grèce de cette époque ait connu : Périclès. Apparenté par sa mère à l’illustre génos des Alcméonides (évoqué plus haut), de sensibilité démocrate, il a régné sans partage sur Athènes par la volonté du peuple qui l’élisait chaque année parmi les dix stratèges. Adjoint d’Ephialtès, il élabora avec lui ses grandes réformes démocratiques qu’il poursuivit après la mort de ce dernier. Grand esprit rationaliste et certainement intellectuel accompli, il eut pour maître à penser les philosophes présocratiques Anaxagore et Zénon d’Elée et accueillit des grands penseurs comme le sophiste Protagoras, l’historien Hérodote, le grand philosophe Socrate, l’homme politique Alcibiade, le poète tragique Sophocle. Toutefois, son règne fut loin d’être incontesté. En effet, le parti conservateur guidé par son chef Thucydide ne s’était pas résigné à sa défaite. Ce parti continua donc à espérer la reconquête du pouvoir exercé, en vertu de la volonté du peuple, rappelons le, par Périclès. Seulement, le peuple se prononça une fois encore pour lui ce qui provoqua, en – 443, l’ostracisme de Thucydide. Finalement, le combat politique qui opposa Périclès à Thucydide rappelle celui qui confronta Ephialtès à Cimon. D’une manière plus générale, (et peut-être au prix d’un anachronisme quelque peu outrancier), la rivalité entre les conservateurs et les démocrates de cette époque persiste encore aujourd’hui entre la droite et la gauche...


9- En choisissant Périclès, le démos porta au pouvoir non seulement un démocrate mais en outre un grand réformateur qui paracheva les réformes de Clisthène et d’Ephialtès. C’est sous son règne (qui s’acheva en – 429), que la démocratie athénienne parvint à un sommet qui ne fut plus jamais dépassé. Parmi les lois qu’il promulgua, il en est deux qui plurent particulièrement au démos. La première définit la qualité de citoyen. Désormais, cette citoyenneté fut uniquement réservée à ceux qui étaient nés de père et de mère grecs. La seconde loi instaura un nouvel avantage réservé aux athéniens : le « misthos » ou salaire qui fut versé aux jurys des tribunaux populaires. A cette époque, la démocratie athénienne est directe. Le pouvoir réel est donc détenu par les citoyens. Concernant les tâches ne pouvant être exécutées par lui-même, en assemblée, dans ses tribunaux ou dans son conseil (qui comporte 500 membres), le démos délègue alors, et sous son contrôle permanent, des pouvoirs à des magistrats. Ceux-ci peuvent dès lors, dans un domaine précis, ordonner, infliger des amendes ou diriger un procès. De son coté, le vote sur l’ostracisme (ou le bannissement, rappelons le) requiert impérativement un quorum de 6000 présents.


10- Le pouvoir était donc exercé d’une part par une assemblée, comprenant le plus grand nombre possible de citoyens et un conseil de 500 membres (la boulè) qui se réunissait quotidiennement. Seulement, les travaux de la boulè prenaient beaucoup de temps et le misthos versé ne correspondait quand même pas à un salaire véritable. Aussi, la boulè ne comprenait-elle que des citoyens aisés et d’opinions modérées. Toutefois, cet état de choses n’entraîna pas de conflit entre les deux institutions car, l’une comme l’autre, étaient très attachées à la démocratie. Sur le plan juridique, la justice populaire, dont les Athéniens étaient d’ailleurs si fiers, peut paraître singulière pour un esprit moderne. En effet, il existait la « dikè » qui ne concernait que des particuliers et la graphè qui s’occupait des affaires de la cité. Concernant cette dernière, c’était une fraction du démos qui rendait la justice. Composée de 6000 Athéniens désignés par le sort cette assemblée était répartie, suivant la nature et l’importance des causes, en jurys de 201, 401, 501, 1001 ou 1501 « héliastes » (les chiffres impairs garantissaient une majorité.)


11- Sur le plan de l’organisation politique de la cité, le siècle de Périclès parachève un long processus qui, amorcé à partir d’un système clanique, aboutit au triomphe de la démocratie. C’est ainsi que pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, le peuple a eu l’opportunité de prendre son destin en main. Il est devenu possible pour chaque citoyen de participer aux travaux de l’assemblée, de siéger au sein du tribunal populaire et même d’exercer une magistrature. Cependant, cette démocratie directe fut loin d’être parfaite. En effet, le corps civique demeure très chiche : ni les femmes, ni les métèques (ou étranger qui, tout en vivant à Athènes, n’ont pas le statut de citoyens), ni évidemment les esclaves ne participent à la vie politique. Par ailleurs, certaines tâches, comme la stratégie, par exemple, ne sont pas rétribuées. Aussi, ces fonctions ne peuvent être briguées que par les citoyens les plus riches. Toutefois, il n’en demeure pas moins que, dans la Grèce du V siècle, Athènes possède les institutions les plus progressistes de l’époque. Nous pourrions donc en rester là puisque la démocratie athénienne, non seulement n’a plus évolué, mais a amorcé un irréversible déclin. Toutefois, peut-être est-il utile de se poser une question : pourquoi ? Un premier élément de réponse nous est donné par le contexte géopolitique de la région. Constituée de nombreuses cités, la Grèce de l’époque fut secouée par de nombreux conflits internes. A ces conflits s’ajouta une redoutable rivalité, à la fois politique et militaire, entre la Perse et Athènes. D’où, d’ailleurs, les guerres dites « médiques », dont la première eut lieu en – 490 (bataille de Marathon) et la fondation en – 477 de la « ligue de Délos. » Constituée sur l’initiative d’Athènes, cette ligue eut pour vocation de protéger les cités grecques, et notamment Athènes, des visées hégémoniques de la Perse. Il n’est pas possible, ici, d’entrer dans le détail des multiples affrontements militaires entre perses et athéniens. Disons simplement que, grâce à la ligue de Délos, Athènes, non seulement parvint à contenir les armées perses mais les battit quasiment toujours. Indépendamment de cet antagonisme, un autre élément explique les difficultés qu’Athènes va bientôt connaître : son impérialisme. Prenons pour exemple la ligue de Délos. Conçue, comme nous venons de le voir, pour contrer les visées hégémoniques des perses, elle se transforma assez rapidement en un empire qui permit à Athènes d’établir une redoutable hégémonie sur la mer Egée. Assez cyniquement appelées alliées, les cités ne disposent pas de leur propre monnaie. En effet, seule celle d’Athènes a le droit de circuler. A cette sujétion s’est ajoutée l’obligation pour chacune des cités membres de la ligue de payer un tribut exigé parfois brutalement. Même en matière de droit, les conflits les plus importants entre les cités de la ligue sont jugés à Athènes. Au final, les cités de l’empire sont traitées avec un certain mépris et une indéniable brutalité. Ceci explique, d’ailleurs, les nombreux soulèvements à venir dont les guerres dites du « Péloponnèse ».


12- Car, et parallèlement à ces problématiques, il en existait une autre tout aussi redoutable : la rivalité, tant politique que territoriale, entre Athènes et Sparte, rivalité qui dégénéra au point de provoquer les guerres du Péloponnèse  dont la première eut lieu en – 459. Entrecoupé de trêves, plus ou moins respectées d’ailleurs, d’alliances tout aussi précaires, cet état de guerre aboutit, en – 404, à la capitulation d’Athènes et à l’abolition de la démocratie. Cet épisode eut des conséquences désastreuses pour Athènes qui du démolir ses murailles, livrer une grande partie sa flotte et, surtout, renoncer à son empire dont toutes les cités, à l’exception d’une seule, firent défection. Finalement, elle paya très cher son impérialisme.


13- Vainqueur, le spartiate Lysandre imposa une dictature connue sous le nom : « régime des Trente. » La chute de la démocratie et l’installation de la dictature des Trente eut des conséquences tragiques pour les démocrates. En effet, beaucoup d’entre eux furent exécutés et d’autres exilés dans un climat de terreur. Cependant, et sous la direction de l’oligarqueThrasybule aidé par les Thébains, les démocrates exilés réussirent à chasser les Trente et à rétablir la démocratie à Athènes en – 403. Dans un souci d’apaisement, une amnistie fut décrétée à l’exception des Trente et de leurs comparses.


14- Cet épisode oligarchique eut un précédent : la révolution des quatre cents et des Cinq-Mille survenu en – 411. Sous l’impulsion d’Alcibiade, brillant militaire, homme politique averti mais dont le comportement était des plus trouble, les gens aisés, écrasés par de lourdes charges fiscales, renversèrent la démocratie. A l’occasion de ces évènements, l’assemblée, complètement dépassée, confia le pouvoir à un corps de Cinq Mille citoyens représentés par un conseil de Quatre Cents oligarques. Cependant, de nouveaux troubles affaiblirent ce conseil qui, pour faire taire les critiques, n’hésita pas a solliciter le soutien de Sparte. L’indignation populaire qui s’ensuivit provoqua leur disgrâce au profit des Cinq Mille en – 410. Il est intéressant de noter que la faiblesse de ce pouvoir oligarchique ne dut rien au hasard. En effet, la flotte basée à Samos (île située au large du Sud Ouest de l’actuelle Turquie) était commandée par des chefs démocrates qui ne pouvaient donc tolérer l’installation d’un tel régime à Athènes. Ils se rapprochèrent d’Alcibiade qui mena avec succès une campagne militaire dont la conséquence fut la restauration de la démocratie.


15- Le rétablissement de la démocratie athénienne, en – 403, rappelons-le, fut accompagné par celui de la constitution dans une atmosphère d’union nationale. Ayant donc survécu à ses précédentes défaites, Athènes retrouva assez vite une certaine puissance ce qui lui permit de reconstruire ses murailles. Toutefois, Sparte s’allia avec la Perse et imposa son hégémonie à la totalité de la Grèce. Par le truchement d’une habile diplomatie, Athènes sut exploiter la terreur inspirée aux cités insulaires par la puissance de la Perse. Toujours sous son autorité, une nouvelle confédération rassemblant les cités menacées fut crée mais gérée avec davantage de sagesse que par le passé. C’est ainsi que les cités gardèrent leur autonomie et versèrent à Athènes une simple contribution et non un tribut. Des victoires navales réussies au détriment de Sparte incitèrent de nouvelles cités à rejoindre la confédération. A deux reprises, Sparte dut reconnaître à Athènes la maîtrise de son empire maritime (nous sommes en – 374 et – 371.) Cependant, cette embellie fut de courte durée. En effet, et malgré la prudence de sa politique, les cités se révoltèrent et un ultimatum parvenu de la Perse contraignit Athènes à accepter l’indépendance des cités. Ce dernier épisode marqua la fin de son empire.


16- La confédération disloquée, Athènes se retrouva dans un dangereux isolement d’autant plus que le nouveau roi de Macédoine, Philippe II, jeta son dévolu sur la mer Egée. Rassurée par le gouvernement d’Eubule, homme pacifique et de compromis, Athènes ne vit sans doute pas les premiers coups venir. En effet, Philippe II s’empara des dernières possessions athéniennes dans le Nord : Méthoné puis, Olynthe. La situation militaire est à ce point désespérée que même Démosthène, orateur d’une rare éloquence et ardent défenseur des intérêts d’Athènes et de la Grèce, dut se résoudre à signer la paix de Philocratès en – 346. Redoutable négociateur, Démosthène parvint à convaincre les Athéniens de réorganiser leur marine et à regrouper une partie de la Grèce contre la Macédoine. Toutefois, ces nouvelles dispositions politiques et militaires n’empêchèrent par Philippe II de poursuivre ses coups de mains jusqu’à la bataille décisive de Chéronée (- 338) qu’il remporta sans coup férir. Relativement indulgent vis à vis d’Athènes, il lui laissa son autonomie politique mais l’obligea à entrer dans la ligue de Corinthe qui regroupait toutes les cités grecques sous son autorité.


17- Depuis la bataille de Chéronée, Athènes est en fait sous mandat macédonien. Lorsque Philippe II meurt assassiné en – 336, les cités grecques, dont Athènes, évidemment, tentèrent de retrouver leur autonomie perdue depuis – 338. Cependant, la réaction de son successeur, Alexandre le Grand, fut telle qu’elles n’eurent d’autre choix que l’obéissance. La mort d’Alexandre, survenue en – 323, suscita un immense espoir de liberté en Grèce. C’est ainsi qu’Athènes se révolta contre Antipatros (nommé également Antipater), lieutenant désigné par Alexandre pour diriger la partie Occidentale de l’Empire. Cependant ce sursaut se solda par l’écrasement d’Athènes au terme de la guerre dite « lamiaque ». Une fois nouvelle, ce désastre militaire eut de terribles conséquences pour les Athéniens : perte des dernières « clérouquies » (colonies militaires), installation d’une garnison macédonienne sur le Pirée et, surtout, une réforme de la constitution qui, en privant la plupart des citoyens de leurs droits civiques, mit en réalité un terme à une démocratie laquelle, durant quasiment deux siècles, avait fait la grandeur d’Athènes. Avant de mettre un terme à ce rapide aperçu historique, ajoutons qu’à partir de – 168, année durant laquelle le Macédonien Persée fut battu à Pydna, l’hégémonie de Rome remplaça celle de la Macédoine en Grèce. Durant cette évolution politique majeure, Athènes fut particulièrement favorisée par les Romains. En effet, elle conserva une certaine autonomie politique, ses possessions en Attique et, en – 166, elle récupéra même quelques clérouquies ainsi que Délos, devenue port franc. Toutefois, les évolutions politiques amorcées par Dracon au VII siècle et qui conduisirent Athènes vers la démocratie ne renaquirent pas de leurs cendres. Très lentement mais inexorablement, Athènes poursuivit son déclin.


18- L’héritage que nous a légué la Grèce Antique et, notamment Athènes, est immense. Dans tous les domaines de la pensée, cette civilisation a fondé celle de l’Occident et continue, d’ailleurs, de l’influencer. Toutefois, et bien qu’à partir du 5ème siècle, la philosophie athénienne s’imposa sur la mer Egée, les premiers philosophes ne furent pas athéniens. A titre d’exemple, évoquons quelques philosophes dits : présocratiques (philosophes antérieurs à Socrate.) Thalès (6ème siècle), par exemple, véritable père de la philosophie et fondateur de l’Ecole ionienne, était un Milésien. (Milet se trouvait en Ionie, partie Ouest de l’actuelle Turquie.) Toujours au 6ème siècle, furent également des Milésiens Anaximandre et Anaximène. Une autre Ecole naquit à Elée (située au sud de Rome) dont les principaux représentants furent Parménide et Zénon. De son coté, Pythagore (6ème siècle) était originaire de Samos (île qui se trouve au large de la cote Est de la Turquie) avant de s’exiler à Crotone (sud-est de l’Italie.) Empédocle (5ème siècle) vivait à Agrigente (en Sicile) tandis que l’atomiste Démocrite (5ème siècle) était originaire d’Abdère (bord sud de la Macédoine.) C’est au 5ème siècle, et sur l’initiative d’Anaxagore, né à Clazomènes (également sise en Ionie), que la philosophie s’installa à Athènes et ne la quitta plus.


19- Toujours dans le domaine de la philosophie, le quatrième siècle et les trois autres siècles de la période hellénistique (III, II et I) sont marqués par la création de quatre grandes Ecoles à Athènes. Outils essentiels de notre culture, ces Ecoles poursuivront leurs activités jusqu’à ce qu’une décision aux terribles conséquences philosophiques prise par l’empereur romain d’Orient Justinien provoque leur fermeture en 529. Dès lors condamnée à la fuite, la philosophie grecque trouvera un refuge en Orient avant de réapparaître en Occident vers le XII siècle grâce, notamment, aux traductions d’Aristote que l’on doit au grand philosophe musulman : Averroès. Faisant suite, quelque part, à l’Edit de Théodose (en 380 de notre ère) qui instaura le christianisme en tant que religion d’état, la décision de Justinien marqua un nouveau succès de ce même christianisme. En effet, et à titre d’exemple, le panthéisme (doctrine selon laquelle le monde et dieu forment une unité unique) des stoïciens comme le polythéisme (doctrine selon laquelle il existe plusieurs dieux) des épicuriens ont purement et simplement disparu des spéculations intellectuelles de l’époque au profit du monothéisme judéo-chrétien. Le Moyen-âge paiera très cher cette substitution.


20- Fondée par Platon (élève de Socrate) aux portes d’Athènes en – 387, l’Académie fut la première grande Ecole philosophique organisée et gérée comme une véritable université. De toutes les régions de la Grèce et du monde méditerranéen, des élèves venaient ainsi suivre les cours de Platon. Parmi ceux-ci, Aristote se distingua particulièrement en créant le Lycée en – 335. Toutefois, établir une distinction claire entre le platonisme et l’aristotélisme n’est pas chose aisée. Evoquons cependant la célèbre fresque de Raphaël, l’Ecole d’Athènes, qui résume assez bien la principale divergence entre les deux philosophes. En effet, alors que Platon lève un doigt vers le ciel (où se trouve le monde de ses Idées), Aristote désigne la terre, lieu des choses concrètes. (J’aurais l’occasion de revenir très bientôt sur ces philosophes.) C’est en – 306 que l’Athénien Epicure fonde l’Ecole du jardin. Essentiellement orientée vers l’éthique (discipline antérieure à la morale notamment celle de Kant) cette Ecole (l’épicurisme) tente de rassembler les conditions nécessaires à l’acquisition d’un bonheur étroitement lié à la sagesse. En fait, Epicure a prit acte de la décadence du monde grec à partir de la domination du Macédonien Philippe II suivie par celle de son fils Alexandre le Grand. L’évolution, notamment politique, d’Athènes étant non seulement stoppée, mais en pleine décadence, Epicure considéra inutile de persévérer sur cette voie et prôna une sorte de repli sur soi. Dès lors, devint prioritaire une réflexion sur la vie intérieure et sur la recherche du bonheur (l’Ataraxie) et cela, indépendamment du chaos extérieur. « La philosophie épicurienne, nous dit Comte-Sponville (La philosophie, p. 42), se veut une thérapie de l’âme, qui tient, tel un remède à quatre ingrédients (le tetrapharmakon) en quatre thèses : Il n’y a rien à craindre des dieux ; il n’y a rien à craindre de la mort ; on peut atteindre le bonheur ; on peut supporter la douleur. » A la même époque (en – 300) le Sémite hellénisé Zénon de Cittium fonde, également à Athènes, l’Ecole du Portique connue également sous le nom de stoïcisme. Tout comme l’épicurisme, le stoïcisme s’interroge sur les conditions devant être réunies afin de parvenir au bonheur en l’associant à la vertu. Toutefois, alors qu’Epicure considérait que le bonheur faisait la vertu, les stoïciens pensaient que la vertu faisait le bonheur. Mais, et indépendamment de leurs divergences doctrinales, épicuriens et stoïciens avaient une devise commune : vivre en accord avec la nature. « C’est pourquoi Zénon le premier, dans son livre de l’homme, nous dit Diogène Laërce (Vies, Doctrines et Sentences des Philosophes Illustres, Vol. 2, p.80) a dit que la fin était de vivre conformément à la nature, c’est à dire à la vertu, car la nature nous conduit à la vertu. » Et donc au bonheur...


21- Durant ces mêmes siècles, d’autres penseurs ont fondé des Ecoles qui n’ont pas bénéficié de la même postérité si nous les comparons aux quatre précédentes. Parmi celles-ci, nous pouvons évoquer les Mégariques, les Cyniques, les Cyrénaïques (dont Michel Onfray déplore, à juste titre, le rejet quasi systématique dont leur doctrine a souffert au long des siècles) et les sceptiques dont Pyrrhon fut sans doute le plus illustre représentant. Ecole opposée au dogmatisme platonicien ou stoïcien, le scepticisme de Pyrrhon enseigne qu’il faut repousser toute opinion comme toute croyance afin de parvenir à une sorte d’indifférence heureuse, à une sagesse muette ou, en d’autres termes, à l’ataraxie donc, et une fois encore, au bonheur. D’une manière générale, tous les aspects de « l’humaine condition » (selon la formule de Montaigne) ont été étudiés par ces grandes Ecoles philosophiques. Ceci explique que la plupart des philosophes qui les ont animées soient toujours présents, aujourd’hui encore, dans nos Universités et dans notre culture... Merci à ces pionniers qui ont su magnifier à ce point la raison humaine.


Patrick Perrin

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